Dans l'autobus scolaire qui nous ramenait à nos voitures à Nantes, après la course qui nous avait menés jusqu'à Lac-Mégantic, tout le monde s'est mis à chanter.

«Si tu aimes le soleil, tape des mains. Si tu aimes le soleilllll...»

Des chansons de colonies de vacances. Comme si on avait tous 12 ans.

On a bien ri.

L'humeur était comme ça. Joyeuse. Nourrie par les endorphines d'une course de 12 kilomètres sous le soleil, dans la brise fraîche d'une campagne grassement verdie par les pluies de juin. Nourrie par tous les mercis qu'on a entendus toute la journée.

- «Vous êtes venus de Montréal? Merci, merci!», m'a dit un jeune père de famille, policier, alors qu'on attendait ensemble le bus en question.

- Mais on n'a rien fait de spécial nous, les coureurs, on est juste venus faire un 12 km. Et acheter du fromage en grains à la fromagerie La Chaudière, en face d'ici.

- Non, non, ça fait une différence de voir des gens, d'autres gens qui viennent nous encourager. Nous, on est plongés là-dedans depuis le tout début. Première ligne, en plus, ajoute-t-il en regardant un ami de longue date, pompier, un gars originaire de Mégantic venu aider depuis Shawinigan, où il travaille maintenant, dès les premières heures du feu.

J'ai l'impression qu'avec nos chaussures de course, on est un peu comme des voisins qui viennent dire bonjour et se tirent une petite bûche pour jaser après la mort d'un proche. Juste pour apporter un peu de chaleur. Une oreille. Un sourire.

«Exactement», me disent le policier et le pompier.

Dans la foule de coureurs - nous étions 1500, selon l'organisateur Christian Merciari -, il y avait des résidants de Mégantic, évidemment, mais aussi des gens venus d'un peu partout au Québec. Une coureuse d'Ahuntsic qui s'est trouvé du covoiturage sur Facebook. Une dame de Saint-Jérôme, victime d'un AVC l'an dernier, venue marcher malgré ses problèmes de santé. Un monsieur portant fièrement un t-shirt vert - la couleur proposée par l'organisateur, celle de l'espoir -, ce monsieur donc, lui, venait de Gatineau. «J'ai été tellement touché, je voulais venir les appuyer.» Quelque quatre heures et demie de route plus tard, il était sur la ligne de départ, hier matin.

On s'est tous retrouvés à Nantes, la ville d'où le train explosif a amorcé sa course meurtrière. La Croix-Rouge était là pour recueillir les dons. L'organisme a amassé plus de 20 000$ grâce à cette activité. Puis vers 12h30, un peu en retard, on a commencé à courir. Contrairement à ce que tout le monde pourrait croire, le chemin n'était pas qu'une longue pente descendante, comme les rails. On a pris la route entre Nantes et Mégantic, un chemin de gravier qui grimpe entre les collines et les fermes, et on a dû monter une longue côte bien pentue. Dans la foule, ça souriait quand même. Il faut dire que la brise était délicieuse. Et que la lumière, dans cette région, est particulièrement limpide. Il y avait des chiens, des bébés, une dame qui écoutait sa musique à tue-tête, du métal hurlant, des gens qui discutaient. «Toi, tu en as entendu parler comment, de la course?»

Moi, c'est Christian, un collègue à La Presse, qui m'en a parlé le premier quand il a eu l'idée de l'organiser. Hier, la MRC lui a dit que cela deviendrait un événement annuel. La course, l'an prochain, aura lieu le 6 juillet, premier anniversaire de la tragédie.

Après huit kilomètres, un autre groupe nous a retrouvés. Rendus là, il n'y avait plus assez de place sur la route pour tout le monde et les autos. On bloquait la circulation. Mais dans les voitures immobilisées, tassées sur l'accotement, les automobilistes souriaient, certains klaxonnaient en guise d'encouragement. «Merci, merci», disaient-ils, eux aussi.

Plus loin, une famille avait écrit, sur un grand panneau: «Merci pour votre solidarité. Merci d'être ici.»

Merci, c'est aussi ce que m'a dit la soeur de Mélissa Roy, cette grande sportive tuée le 6 juillet, quand je lui ai expliqué que j'étais journaliste, venue de Montréal... Elle portait une photo de sa soeur sur son short. L'amoureux de Mélissa portait une des chaussures de course de la jeune femme emportée. La sportive aurait été contente de voir tous ces joggeurs, aurait voulu que tout le monde soit heureux, ont-ils expliqué. Et il y avait effectivement beaucoup de joie hier matin à Nantes, quand cette course de l'espoir a démarré. Mais difficile de ne pas avoir un noeud dans la gorge quand on rencontre la douleur face à face, dans un jardin à côté de l'hôtel de ville.

«Mes sympathies», ai-je dit à toute la bande néanmoins souriante d'amis et de parents de Mélissa.

«Merci», ont-ils tous répondu.