La 18e Soirée des Jutra ne remportera sans doute pas de prix de popularité. Ça tombe bien: ce n'est pas un concours de popularité. Ça ne l'a jamais été. Et c'est très bien comme ça.

Plusieurs ont fait remarquer lundi, après l'annonce des finalistes du gala annuel du cinéma québécois, que la plupart des films les plus populaires de 2015 brillaient par leur absence. La passion d'Augustine de Léa Pool, succès critique et populaire, mène théoriquement la course avec dix sélections. Mais c'est le seul parmi les quatre films «millionnaires» au box-office québécois l'an dernier à faire bonne figure au tableau des finalistes.

Le mirage de Ricardo Trogi et Paul à Québec de François Bouvier ne se retrouvent que dans une seule catégorie (respectivement pour l'interprétation de Christine Beaulieu et de l'incontournable Gilbert Sicotte). Et la version 3D animée de La guerre des tuques se contente de deux sélections dans des catégories techniques.

Comment dire... J'ai beau chercher le scandale, je ne le trouve pas! Malgré leurs qualités indéniables, Le mirage, Paul à Québec et La guerre des tuques 3D ne comptent pas, à mon avis comme de celui d'une majorité de sélectionneurs des finalistes aux prix Jutra, parmi les meilleurs films québécois de 2015. Une cuvée, il faut dire, qui compte son lot d'oeuvres fortes, même si elles sont restées pour la plupart confidentielles.

On aura beau lui trouver tous les défauts, le gala des Jutra a toujours privilégié la qualité plutôt que la popularité (l'un et l'autre n'étant pas antinomiques, bien entendu). C'est tout à son honneur. Il se fait un devoir de récompenser non pas les meilleurs films parmi ceux que le public a vus en grand nombre, mais le meilleur du cinéma québécois, point.

Le gala des Jutra récompense déjà le film le plus populaire grâce au Billet d'or (que se disputent cette année Le mirage et La guerre des tuques). Ses autres prix sont décernés selon des critères artistiques, forcément plus subjectifs, mais sur lesquels s'entend une majorité d'électeurs. En faisant fi du potentiel commercial des candidats.

Certes, ce n'est pas la meilleure façon de s'assurer qu'une émission de télévision obtienne un maximum de cotes d'écoute. Mais c'est certainement la manière la plus efficace pour un gala télévisé de maintenir un minimum de crédibilité. 

À ce chapitre, un coup d'oeil aux palmarès du gala des Jutra permet de constater qu'il s'est rarement trompé (moins que les Oscars, à mon avis).

J'ai couvert pour Le Devoir, il y a 18 ans déjà, la conférence de presse de création des prix Jutra (diffusés alors à TVA). Ses organisateurs espéraient à l'époque que cette nouvelle vitrine télévisuelle soit déterminante pour le rayonnement et la vitalité du cinéma québécois. Ils ont eu raison. L'an dernier, la Soirée des Jutra a été suivie par 700 000 téléspectateurs, ce qui est plus que respectable en ces temps d'effritement des cotes d'écoute.

On ne donnait pourtant pas cher de cette cérémonie de remise de prix à ses débuts. Pourquoi récompenser des oeuvres si peu vues par le grand public? Qui serait à l'écoute? Assisterait-on à une autre séance d'autocongratulation n'intéressant qu'un milieu culturel, à l'instar des Masques pour le théâtre?

À la première Soirée des Jutra, seulement 16 films pouvaient prétendre à un prix (avec une probabilité d'être finaliste un peu trop intéressante). Cette année, 42 films de fiction étaient en lice et 23 sont finalistes dans au moins une catégorie. Si regretter l'absence de l'un ou de l'autre au final fait partie du jeu des galas - que serait la Soirée des Oscars sans une petite controverse? -, personne ne conteste le fait que celui des Jutra constitue une vitrine de choix pour le cinéma québécois.

«C'est la célébration d'une industrie et une invitation au public de découvrir sa cinématographie nationale», affirme Ségolène Roederer, directrice générale de Québec Cinéma, l'organisme qui chapeaute le gala des Jutra, en conférence de presse, lundi.

Si 2015 fut une année de légère hausse des parts de marché du cinéma québécois, celles-ci restent bien loin des pics d'il y a 10 ans. La richesse de notre cinéma, de toute manière, ne se mesure pas en entrées et en parts de marché. Elle se mesure dans le jeu d'Alexandre Landry, remarquable d'intensité dans L'amour au temps de la guerre civile de Rodrigue Jean, finaliste au Jutra du meilleur acteur.

Elle se mesure aussi par la présence d'un nouveau venu dans la catégorie du meilleur acteur de soutien: Irdens Exantus, le fameux Souverain Pascal de Guibord s'en va-t-en guerre de Philippe Falardeau. Elle se mesure dans la sélection de Fanny Mallette, si juste et émouvante dans le rôle d'une mère qui a perdu son enfant, parmi les finalistes au Jutra de la meilleure actrice (pour Chorus de François Delisle, mon film québécois préféré de 2015).

Elle se mesure enfin dans le choix de Félix et Meira de Maxime Giroux, auquel je prédis le prix Jutra du meilleur film. Il faudra attendre le dimanche 20 mars, à 20 h, à Radio-Canada, pour le savoir. Ceux qui préfèrent les concours de popularité n'auront qu'à changer de chaîne: il y aura La voix à TVA.