Hugo n'en croyait pas ses oreilles. Il était impossible, à ses yeux, que je n'aie jamais entendu «la» chanson la plus populaire de l'année, dûment authentifiée par le gala de l'ADISQ.

Il n'a pas été le seul à me faire la remarque, dimanche soir, après mon aveu spontané d'inculture sur Twitter. Hier, en me disant que ma mémoire me faisait peut-être défaut, j'ai écouté Nous sommes les mêmes de Marc Dupré. Pour me rendre compte que... cette chanson ne me disait strictement rien.

J'écrivais la semaine dernière sur le fameux constat des «deux solitudes» entre anglophones et francophones. Il existe de nombreux schismes du même type. Celui, tout aussi évident, entre la critique et le «grand public».

Je ne suis pas critique musical. Mais je suis constamment à la recherche de nouveaux artistes, de nouveaux albums, de nouvelles chansons à découvrir. Or, le type de musique qui m'interpelle d'ordinaire n'est pas diffusé à la radio commerciale, que je ne fréquente pour ainsi dire jamais. Ceci expliquant cela.

Je n'avais donc, avant hier, jamais entendu Nous sommes les mêmes, chanson qui a tourné en forte rotation à la radio commerciale ces derniers mois. Pourtant, pour répondre à une lectrice, je n'étais pas caché sous une roche.

Comment est-ce possible? Comme il est possible, j'imagine, par choix, de ne jamais regarder Le banquier à TVA ou l'émission surexcitée de Gregory Charles à Radio-Canada. Celle où tout le monde chante, danse et sue en même temps, avec des gens du même âge préférablement. Je le répète: à chacun ses préférences culturelles.

J'écoute la radio le matin à la maison ou dans l'auto, et je zappe exclusivement (je suis un être d'habitudes) entre mes chaînes favorites: Radio-Canada, le 98,5, Espace Musique, CISM, CIBL, CHOM et Radio 2, la chaîne musicale de la CBC, où j'ai fait récemment la plupart de mes découvertes les plus intéressantes.

J'écoute bien sûr de la musique québécoise: j'ai usé comme bien des gens le premier disque de Louis-Jean Cormier à la corde. Je trouve le nouveau Jimmy Hunt excellent. En toute franchise, je savais que Marc Dupré était devenu chanteur. Mais je n'ai appris qu'à Tout le monde en parle qu'il avait un disque.

Tout ça pour dire que, oui, Hugo, il est possible que nos voies musicales ne se soient pas croisées cette fois. Nous ne sommes pas tous les mêmes, justement. Tant mieux, non? Il reste que pour moi, une chanson pop conventionnelle est une chanson pop conventionnelle. Qu'elle soit populaire ou pas.

Nous sommes les mêmes de Marc Dupré est une chanson pop archi conventionnelle. Parfaitement léchée et calibrée, mais sans grande personnalité. Elle aurait pu être produite en Suède comme aux États-Unis. Elle aurait pu servir de chanson-thème de Star Académie. Elle aurait pu être chantée par Roch Voisine en 1993. Mais si elle n'avait pas plutôt été interprétée par un juge de la populaire émission La voix, aurait-elle mérité un Félix? On jase, là.

Cela m'amène, pour une centième fois, à une observation qui en fera sursauter plus d'un: conclure un gala par des prix du public, c'est s'assurer qu'il se termine en queue de poisson. Avec un «anticlimax» plutôt qu'un crescendo. Je m'explique, pour la 101e fois.

Il me semble paradoxal qu'un gala consacré au «meilleur» de la musique se transforme, à la toute fin, en concours de popularité. La cérémonie des Oscars se termine avec le prix du meilleur film, pas celui du long métrage le plus rentable ou ayant reçu le plus de suffrages lors d'un sondage téléphonique.

En suivant la logique du gala de l'ADISQ, Arcade Fire n'aurait jamais remporté le Grammy de l'album de l'année pour The Suburbs, Omertà aurait gagné le dernier prix de la plus récente soirée des Jutra et Danielle Steel aurait une collection de prix Pulitzer sur son manteau de cheminée.

Les concours de popularité existent déjà. Le gala Artis par exemple, où l'on célèbre l'autocongratulation et la fascination pour les vedettes québécoises. Ces événements confirment ce dont on se doute déjà grâce à d'autres unités de mesure: les cotes d'écoute, les ventes de billets ou de disques, etc.

Les industries culturelles se sont dotées d'événements leur permettant de récompenser la qualité d'une oeuvre en faisant quasi abstraction des critères de performance habituels. Des vitrines consacrées, une fois par année dans chaque discipline, à l'excellence artistique.

La popularité et la qualité sont parfois deux choses synchrones. Mais ce sont deux choses bien distinctes, qui se mesurent différemment. On s'intéresse déjà de manière presque maladive aux statistiques culturelles. Pourquoi ne pas préserver quelques moments sacrés dans l'année où seuls les critères qualitatifs (la valeur d'une oeuvre, le mérite de son auteur) seraient considérés?

Il n'est pas très étonnant, dans une société consensuelle comme la nôtre, que soient créés des galas hybrides, décernant à la fois des prix selon les critères de l'industrie et les critères du public. Lorsqu'on veut contenter tout le monde, sa belle-mère et sa productrice récalcitrante... Le gala de l'ADISQ de dimanche, jusque-là excellent, a attendu la fin pour livrer ses fausses notes. Elles résonnent encore.