L'excellente télésérie 19-2 a remporté dimanche les plus prestigieux prix du 28e gala des Gémeaux, animé par René Simard sous le signe incontestable de la bonne humeur. Personne n'en a été surpris. Ni du jovialisme de l'animateur ni du sacre de l'une des émissions les plus percutantes de l'histoire de notre télévision.

Hier, même Le film français - magazine de référence de l'industrie audiovisuelle en France - revenait sur la victoire de ce «polar» présenté la semaine dernière au Festival de la fiction TV de La Rochelle. Il y a dix ans, je suis loin d'être convaincu qu'une série québécoise aurait eu droit à une telle mention à l'étranger.

La télévision québécoise aura 60 ans dans quelques semaines. Et elle se porte plutôt bien. Grâce surtout à des séries de grande qualité telles 19-2, Aveux, Minuit, le soir, Les invincibles, Fortier, La vie, la vie et d'autres, lauréats depuis dix ans du Gémeaux de la meilleure série dramatique.

Ces téléséries - comme Le temps d'une paix, Les filles de Caleb ou Omertà avant elles - ont-elles participé à forger l'identité québécoise? C'est la question que posait à son émission Les chemins de travers l'anthropologue Serge Bouchard, dimanche soir à la radio de Radio-Canada (à laquelle je participais).

Poser la question, c'est bien sûr y répondre. La télévision a contribué, de manière indéniable, à forger l'identité nationale québécoise depuis plus d'un demi-siècle. La télévision est un vecteur d'identité puissant, qui n'a cependant pas la même influence dans toutes les sociétés. Il suffit de s'intéresser au contre-exemple du Canada anglais pour s'en rendre compte.

S'il est une chose qui définit le Canada anglais au petit écran, c'est le hockey. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le hockey se retrouve toujours à l'antenne de la CBC. Chaque peuple a sa religion. Celle du Québec est bien plus cathodique que catholique (vous excuserez le cliché).

La religion du Canada anglais se pratique avec un bâton - qui n'a pas été courbé par un pèlerin - et une rondelle. Si, comme au Québec, la chaîne publique canadienne abandonnait la diffusion du sport national, il y aurait des manifestations dans les rues de Red Deer et de Moose Jaw. Le geste serait perçu dans le ROC comme une trahison des valeurs fondamentales du peuple canadien.

Au Québec, la Soirée du hockey a disparu progressivement au profit de RDS sans soulever de tollé. Au Canada anglais, à peu près personne ne se formalise que Don Cherry, commentateur controversé de Hockey Night In Canada, touche quelque 800 000$ en salaire annuel, à même les deniers publics, pour une intervention d'à peine 7 minutes par match (où il dérape plus souvent qu'à son tour en parlant des "pleutres" européens et québécois).

Pour le reste, la télévision canadienne se résume à plusieurs émissions (certaines de grande qualité, comme The National) plus ou moins boudées par le public, dont le regard est davantage attiré par des propositions américaines à plus grand budget. La langue commune avec les États-Unis, à l'évidence, compte pour beaucoup dans cette indifférence du public canadien vis-à-vis de sa propre télévision.

Les cotes d'écoute d'une série comme Unité 9, plébiscitée par le public au gala des Gémeaux, feraient saliver d'envie n'importe quel diffuseur canadien-anglais (malgré le poids démographique beaucoup plus imposant du ROC). Il ne faudra pas compter sur l'adaptation canadienne-anglaise de 19-2, prévue en 2014 sur la chaîne Bravo, pour changer la donne. La série canadienne la plus populaire en ondes en ce moment, Rookie Blue (sur des policiers), attire moins de téléspectateurs que 19-2, au Québec seulement...

Les séries québécoises, qui ont bien sûr l'avantage d'une langue et d'un star-système distincts, intéressent un public beaucoup plus fidèle et assidu. Ce qui ne veut pas dire que tout est rose. Chez nous, les défis sont tout autres. Nos séries sont généralement de grande qualité, et se comparent avantageusement à celles de bien des nations beaucoup plus riches et populeuses. Mais c'est à se demander parfois si elles ne sont pas victimes de leur propre succès.

Avec des budgets de production réduits comme peau de chagrin, le Québec produit des téléséries avec de moins en moins de moyens. À un point tel que l'élastique, déjà étiré au maximum - on exige presque des miracles des auteurs, acteurs et artisans - est sur le point de céder. Ça risque de faire mal.

Une Charte dans la soupe

Plusieurs se sont étonnés, pendant le gala des Gémeaux, que Marie-Josée Taillefer y aille d'une sortie contre la Charte des valeurs plutôt controversée du Parti québécois. Ils avaient raison. Ce n'est pas du tout ce qu'a voulu dire l'animatrice de Cap sur l'été et compagne de René Simard. Elle parlait de «respecter l'avis des autres»... sur les réseaux sociaux.

On peut comprendre que son commentaire sibyllin ait été mal interprété par plusieurs (notamment sur les réseaux sociaux!). Alors qu'elle prononçait cette phrase, la télévision de Radio-Canada nous a montré le visage «mécontent» de Pauline Marois. La première ministre croyait-elle aussi que Marie-Josée Taillefer parlait de cette Charte qui divise le Québec? Ou n'était-ce qu'une illusion, créée par le choix d'images du réalisateur?

Bref, comme disait l'autre, le médium est le message. On oublie trop souvent à quel point le découpage d'une émission de télévision peut avoir une influence sur notre perception des choses. Surtout dans un contexte sociopolitique tendu où tout le monde voit une Charte dans sa soupe...