Les superhéros sont partout. Ils se multiplient comme des puces de lit, si bien qu'on a l'impression d'une infestation. La télévision aura elle aussi bientôt son adaptation d'un comic, avec la diffusion en septembre de la série Agents of S.H.I.E.L.D. de Marvel, à ABC. Les hordes de geeks s'excitent déjà le duvet de moustache en découvrant les publicités.

Le superhéros du moment, c'est bien sûr Superman, dans sa énième incarnation au grand écran. Le très musclé acteur britannique Henry Cavill prête désormais ses traits à «l'homme d'acier» (non, pas Staline) dans le bien-nommé film Man of Steel de Zack Snyder, à l'affiche depuis vendredi.

En moins d'une semaine, le Superman nouveau, parrainé par Christopher Nolan (le cinéaste des plus récents Batman), a déjà engrangé des recettes de plus de 150 millions au box-office nord-américain. Les studios Warner n'ont négligé aucune stratégie afin que cette superproduction au budget de 225 millions fasse résonner les tiroirs-caisses.

Man of Steel est même devenu le prétexte d'un mariage pour le moins étonnant entre prosélytisme religieux et showbiz hollywoodien. Le dernier Superman contient assez de références chrétiennes, de métaphores messianiques et autres allégories bibliques pour inspirer plus d'un prédicateur. Les studios Warner l'ont bien compris.

Transcendant le concept de Super Jésus en Super Jésustetoscope de nos amis de RBO, les bonzes de la Warner ont carrément créé un site internet (manofsteelresources.com) destiné à offrir à des pasteurs et évangélistes la matière nécessaire afin de séduire les membres plus récalcitrants de leur congrégation, en comparant Superman et Jésus-Christ.

Il faut dire que Man of Steel s'y prête. Tel qu'il y est représenté, Superman a été envoyé en mission par son père sur Terre, où il a été accueilli par une famille adoptive modeste. Il possède des dons surnaturels qui font dire à son père adoptif (alias Kevin Costner) qu'il serait mis au ban de la société s'ils étaient découverts.

Il flotte dans les airs en prenant des poses christiques. Il propose de se sacrifier pour les humains qui, ingrats, se méfient de lui comme de la peste. Et ce, même s'il est Américain - comme le chantait Jean-Pierre Ferland -, ce qui n'empêche pas l'armée de l'air de lui tirer dessus à coup de missiles Patriot. «Pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font.»

Le personnage de Superman, créé par deux adolescents juifs américains (Jerry Siegel et Joe Shuster) au début des années 30, porte depuis toujours cette symbolique messianique. «Je vois Superman comme un genre de croisement de l'Ancien et du Nouveau Testament, a confié au Los Angeles Times le scénariste de Man of Steel, David Goyer. Son histoire est un peu celle de Moïse et un peu celle de Jésus.»

C'est en lisant cet article du Times que j'ai appris l'existence d'un site internet créé de toutes pièces par Warner, avec le concours de spécialistes du marketing, pour sa clientèle chrétienne. En particulier pour les pasteurs qui, grâce à cet accès privilégié à des extraits vidéo et des images du film, peuvent pimenter leurs sermons de références à Superman, «symbole d'espoir pour l'humanité, qu'il doit sauver» (selon la pub de Man of Steel).

Un professeur de communication de l'Université de Pepperdine, en Californie, Craig Detweiler, a même conçu pour le site de Warner des canevas de sermon autour de Superman. Le premier, baptisé Jésus: plus que notre Super Man, a pour objectif avoué de «permettre aux enfants de mieux apprécier les sacrifices de Jésus en faisant des parallèles entre les Saintes Écritures et le film Man of Steel».

On y propose différentes manières d'amorcer des discussions avec des jeunes qui ont vu le film: «Quelle qualité as-tu le plus appréciée chez Superman? Quelle est sa mission fondamentale à ton avis? Quelles similitudes vois-tu entre l'histoire de Jésus et celle de Superman?»

Le deuxième canevas de sermon, sous forme d'un pamphlet de neuf pages intitulé Jésus, le superhéros originel, rappelle que «les origines mythiques de Superman sont ancrées dans la réalité éternelle d'un superhéros spirituel qui a aussi vécu une vie modeste jusqu'à ce que des circonstances extraordinaires l'obligent à une réponse surnaturelle». Super Jésus.

Force références blibliques à l'appui, Craig Detweiler suggère aussi des réponses. «Superman, tout comme Jésus, s'est sacrifié pour sauver les hommes, mais continue de veiller sur eux.» Il s'agit, ni plus ni moins, d'endoctrinement religieux par le cinéma. Ce qui semble inenvisageable au Québec passe surtout aux États-Unis pour une stratégie de «marketing de niche» originale et innovatrice. In God We Trust.

Craig Detweiler, décrit comme un intellectuel chrétien, a tout de même dû se défendre cette semaine sur son blogue de désacraliser la religion en l'intégrant à une campagne de promotion hollywoodienne. «La plupart des chrétiens d'Amérique ont déjà fait plusieurs accommodements culturels, dit-il, en préférant s'assimiler plutôt que de résister au capitalisme tel qu'il est promu par la république du divertissement.» Voilà qu'on donne raison aux marchands du Temple...

Ce site bien particulier de Warner propose, pour finir, un «défi» à ses lecteurs: «Chaque jour, remerciez Dieu de la manière avec laquelle il a démontré son amour pour vous. Remerciez Jésus d'avoir sacrifié sa vie pour la vôtre. Demandez à Dieu comment vous pouvez mieux le servir...» Et surtout, n'oubliez pas d'aller au cinéma, voir un film archi-violent où chacun fait sienne cette maxime biblique: oeil pour oeil, dent pour dent. Amen.