Il reste peu de choses du Golden Square Mile, ce quartier central de Montréal bâti par les marchands écossais qui ont donné son premier grand essor économique à la métropole.

Il faut aller à Boston, par exemple, pour voir quelle allure aurait Montréal si l'on n'avait pas saccagé ces grands manoirs de briques ocre qui faisaient la beauté du quartier.

À tout seigneur tout... déshonneur, c'est à McGill que l'on doit la destruction d'une partie du Golden Square Mile. Durant les années 60-70, alors que la poussée démographique nécessitait l'expansion des campus et que la frénésie immobilière ne s'accompagnait pas du souci de la qualité architecturale, McGill a acquis les terrains et remplacé les demeures patrimoniales du XIXe siècle par des bâtiments sans âme ni beauté.

On aurait pu espérer que de telles incuries ne se répèteraient plus, surtout pas à propos d'un édifice classé monument historique.

Or, il n'en est rien, si l'on en juge par le sort pitoyable du Mount Stephen Club, rue Drummond, dernier grand vestige du Golden Square Mile au sud de la rue Sherbrooke.

Ce magnifique manoir victorien, datant de 1880, était la demeure du fondateur du Canadian Pacific, Lord Mount Stephen. En 2006, quand il a été acheté par le promoteur Tidan, l'édifice était encore en parfait état.

J'y ai déjà été invitée : l'intérieur était splendide, avec ses boiseries précieuses, ses gigantesques cheminées de marbre et ses hautes fenêtres garnies de vitraux italiens du XVIIe siècle.

En 2011, Tidan a entrepris des travaux visant à intégrer l'édifice à un hôtel de 80 chambres. Le promoteur est actuellement poursuivi par le ministère de la Culture pour avoir, sans autorisation, démoli trois cheminées et des balustrades en fer forgé et recouvert de ciment une partie des pierres de la façade.

Durant les travaux visant à construire les 12 étages de la partie arrière de l'hôtel, de même qu'un stationnement souterrain, des fissures sont apparues sur la façade, provoquant un affaissement. La façade est aujourd'hui soutenue par des poutres. Il faudra la démonter et la reconstruire...

Interviewé par Montreal Gazette, Dinu Bumbaru d'Héritage Montréal se dit fort inquiet. Des travaux sur un édifice aussi ancien doivent être effectués avec des précautions extrêmes, dit-il : « Ce n'est pas un travail de maçon, mais de chirurgien ! »

Tidan s'est engagé à réparer les dommages avant de poursuivre le chantier.

La chose est pourtant très connue :  le sous-sol du centre-ville est problématique. Argileux et traversé par de multiples ruisselets, il peut « bouger » à la moindre excavation qui altère son degré d'humidité, et il va de soi que les constructions anciennes sont particulièrement vulnérables.

À titre d'exemple, plusieurs propriétaires de maisons autour du Carré Saint-Louis ont dû faire installer des pieux pour stabiliser leurs fondations, à cause, justement, de la fragilité du sous-sol. Dans un cas au moins, ces travaux ont très mal tourné, lorsqu'une excavation trop rapide, sans procédure de soutènement préalable, avait provoqué l'affaissement de la façade d'une maison. L'entreprise de pieutage a été jugée coupable de négligence en Cour supérieure.

Les caractéristiques particulières du sous-sol du centre-ville montréalais étaient d'ailleurs l'une des (très nombreuses) raisons qui militaient contre l'installation du CHUM sur le terrain de l'Hôpital Saint-Luc.

Lors de la construction du pavillon Desmarais du Musée des Beaux-Arts, des murs des maisons voisines de la rue Crescent ont été fissurés malgré les précautions prises par les maîtres d'oeuvre.

On peut se demander si Tidan, promoteur important qui possède déjà une partie du parc immobilier du secteur, dont le Château Versailles et le Méridien, a procédé avec le soin requis.

On peut aussi se demander si, compte tenu de l'importance de ce site patrimonial, la Ville de Montréal s'est préoccupée suffisamment de ce chantier ouvert depuis 2011.