Victoire du Front national (FN), qui a poussé le gouvernement socialiste de la France à adopter une mesure que n'aurait pas dédaigné le régime pétainiste de Vichy. Victoire des terroristes, qui ont réussi à altérer l'âme de la patrie des Lumières...

C'est ainsi que l'on pourrait résumer, en exagérant à peine, ce qui se passe actuellement en France.

Les parlementaires français s'apprêtent à voter une loi qui inscrira dans la Constitution la possibilité de retirer la citoyenneté française aux personnes condamnées pour « un crime ou un délit qui constitue une atteinte grave à la vie de la nation ». Passons sur le flou de la formulation, qui ouvre la porte à n'importe quoi. On comprend bien qu'il s'agit (pour l'instant) de sévir contre le terrorisme.

L'idée n'est pas neuve. La déchéance nationale et la privation des droits civiques ont toujours été l'arme de choix des régimes totalitaires. Pendant l'occupation allemande, 7000 Juifs français naturalisés après 1927 se sont vu retirer leur citoyenneté... pour être ensuite déportés dans des camps de concentration.

Au Canada, Stephen Harper comptait enlever la citoyenneté canadienne aux auteurs de crimes terroristes qui détiennent une autre nationalité. Ce projet est heureusement tombé avec son gouvernement.

Le projet de loi français ne mentionne pas la binationalité, pour ne pas donner l'impression de faire des binationaux des citoyens de seconde zone, ce qui aurait l'air de déroger au beau principe de l'égalité républicaine.

Par ailleurs, le gouvernement français ne veut pas créer d'apatrides, ce qui serait contraire aux conventions internationales. Impossible donc de priver de sa nationalité un Français qui n'aurait pas d'autre pays que la France...

Dilemme et tour de passe-passe : la loi semble dire que la déchéance nationale s'appliquera à tous, mais en fait, on infligera aux mononationaux une autre peine : « l'indignité nationale », soit la privation de leurs droits civiques (droit de vote, accès à des postes de direction, à la fonction publique, etc.). Ce fut l'infamie réservée aux Français coupables de collaboration après la guerre.

Cette mesure, sorte de vengeance à chaud après les terribles attentats de 2015, plaît au public (près de 90 % des Français l'approuvent, ce qui explique pourquoi le gouvernement socialiste a repris cette idée phare du FN). Elle serait sans doute tout aussi populaire chez nous, où il suffit d'un crime spectaculaire pour que l'on réclame le retour de la peine de mort.

Mais ce n'est pas parce qu'une loi est populaire qu'elle est juste. La déchéance nationale (l'exclusion à jamais du territoire français) et même sa version soft d'indignité nationale (la perte des droits civiques) signifient la fin de toute possibilité de réhabilitation pour les auteurs d'actes terroristes. Qui dit qu'un garçon qui a tué à 20 ans par fanatisme n'est pas susceptible de s'amender plus tard ?

Cette mesure signifie aussi que les musulmans binationaux (c'est d'eux surtout qu'il s'agit) seront renvoyés vers leur pays d'origine, au risque qu'ils soient sujets à la torture ou à l'exécution sommaire... ou qu'ils aillent grossir les rangs du djihad à l'étranger.

Ce sont en somme des mesures qui vont à l'encontre des acquis les plus fondamentaux des systèmes judiciaires civilisés.

Si encore de telles lois avaient une valeur dissuasive ! Ce n'est pas le cas, pas plus que la peine de mort ne prévient le crime. Le meurtrier est convaincu qu'il ne se fera pas « prendre ». Le djihadiste est résolu à mourir en même temps que ses victimes.

Cette vieille revendication de l'extrême droite a été entérinée par la droite modérée des Républicains de Sarkozy, puis par une majorité de parlementaires socialistes. Seule Christiane Taubira a eu le courage de démissionner en guise de protestation. À un an et demi de la présidentielle, l'obsession sécuritaire fait l'objet d'une surenchère frénétique entre les partis.