Le Québec a d'autant moins de raisons de singer la France, en réprimant les libertés individuelles, que les populations immigrées des deux pays sont loin d'être comparables. Le recours à des lois intransigeantes est encore moins justifié ici que là-bas.

Nos immigrants ont été triés sur le volet, minutieusement sélectionnés en fonction de critères exigeants, dont le niveau d'instruction, la formation professionnelle et la connaissance du français (ce dernier facteur a contribué à augmenter l'immigration en provenance du Maghreb). 

La France, au contraire, reçoit plus que sa part de migrants illégaux, parce qu'elle est plus accessible que le Canada à partir des zones de misère. Ces «illégaux» jouent souvent un rôle important dans l'économie car ils effectuent, dans la pénombre d'une semi-clandestinité, les travaux que les franco-français dédaignent, par exemple la plonge dans les restaurants. 

La France aussi a choisi ses immigrants, mais dans une optique bien différente. Dans les années d'après-guerre, elle a fait venir de ses anciennes colonies une vaste main-d'oeuvre de travailleurs non qualifiés susceptibles d'occuper les emplois de cols bleus dont les Français, tout à leur nouvelle prospérité, ne voulaient plus. Ces immigrés ont été regroupés dans des zones immobilières de banlieue, près des usines de la périphérie. Les hommes, venus seuls, sont allés chercher leurs épouses dans leurs «bleds» algériens ou leurs villages subsahariens: souvent des femmes illettrées qui ignoraient le français.

C'était à prévoir, dans ces «cités» s'est développée une culture de ghetto, dont on porte encore les stigmates après trois générations: maîtrise déficiente de la langue, délinquance, pauvreté, sous-scolarisation...

On trouve aussi, dans ces lugubres cités, des familles polygames introduites illégalement mais enfin, elles sont là, avec leur marmaille... Les jeunes à l'origine des émeutes qui ont embrasé les banlieues des grandes villes venaient parfois de familles polygames africaines, le racisme anti-noir et la désagrégation familiale aggravant les problèmes liés à la transplantation. 

Un autre poids, totalement inconnu ici, pèse sur l'immigration musulmane en France, c'est celui de l'histoire. Le colonialisme a laissé des traces, de même que les années terribles de la guerre d'Algérie. Ce contentieux reste vivace.

Mais il y a aussi l'autre réalité, qu'on ignore trop souvent: la majorité des musulmans, en France, ne sont pas pratiquants! Certains n'ont gardé de l'Islam que le ramadan, pour des raisons culturelles... comme les Québécois qui vont à Noël à la messe de minuit. 

Il n'y a pas de raison de voir en tout musulman un islamiste en puissance, d'autant plus que nos immigrants forment, au départ, une population choisie, plus éduquée et donc vraisemblablement moins susceptible de succomber au fanatisme religieux. (Je précise ici que pour moi, le port d'un foulard ou d'une kippa n'est pas un signe de fanatisme. Le niqab peut-être, mais pas toujours. Cessons de croire que tous les croyants sont des extrémistes!).

Hélas, une bonne partie de l'information dont disposent les Québécois - photos révoltantes, anecdotes terrifiantes, le tout circulant abondamment sur les réseaux sociaux - provient de l'étranger, voire de l'Afghanistan ou de la Syrie! C'est une vaste tromperie. Ainsi ces photos qu'on se repasse en boucle, montrant des musulmans prostrés sur leurs tapis «dans les rues de Paris» (sic). 

En réalité, ces incidents datent d'il y a plus de deux ans! Seules deux rues (les rues Myrha et Polonceau, dans le 18e arrondissement) ont été le théâtre de ces scènes, et c'était parce qu'il ne se trouvait aucun lieu de prière dans les environs. On a réglé le problème depuis, en transformant un entrepôt en mosquée. Mais ces vidéos continuent de courir et d'alimenter le mythe d'une effroyable invasion musulmane...