WikiLeaks est le produit le plus nocif de cette culture du bavardage qui déferle sur la planète.

Le piratage de câbles diplomatiques emmagasinés au département d'État américain a beau ne pas aboutir à des révélations stupéfiantes, il va causer d'immenses dommages corollaires: d'abord en mettant en danger un nombre indéterminé de sources vivant dans des pays dictatoriaux, et ensuite en détruisant la confidentialité nécessaire aux échanges diplomatiques, qui ne peuvent se faire dans la transparence absolue - pas plus d'ailleurs que n'importe quelle réunion de travail, dans quelque domaine que ce soit.

Les journaux qui ont traité la matière brute fournie par WikiLeaks ont agi de façon responsable, en effaçant les noms des sources citées par les diplomates américains, mais cela n'empêchera pas les documents initiaux de circuler en ligne.

Dans les pays totalitaires, où les rapports des citoyens avec des étrangers sont espionnés, ceux qui auront eu un contact avec un membre de l'appareil diplomatique américain - qu'ils aient été identifiés ou non dans les câbles piratés - risquent les foudres de régimes qui ne font pas dans la dentelle et qui ne respectent ni la présomption d'innocence ni les règles élémentaires de l'État de droit.

Mardi, dans le Globe and Mail, Scott Gilmore, ancien diplomate naguère posté en Indonésie, racontait comment il avait, par le moyen de câbles similaires à ceux qui ont été dévoilés par WikiLeaks, alerté le ministère des Affaires étrangères sur la torture dont étaient victimes les militants indépendantistes du Timor oriental.

Si ses câbles avaient été rendus publics, sa source principale (une institutrice) aurait été tuée, lui-même aurait été expulsé du pays, et l'ambassade canadienne aurait été attaquée par les milices aux ordres de la junte.

«Les câbles dévoilés par WikiLeaks, poursuit M. Gilmore, seront lus par les dictateurs militaires et la police secrète de toutes les capitales. Les personnes qui auraient côtoyé des diplomates américains seront en danger et il sera de plus en plus difficile de recueillir des informations sur les abus aux droits humains. WikiLeaks, loin de favoriser la démocratie, va accroître la répression à travers le monde.»

Ce bris très grave de confidentialité ne pouvait se produire ailleurs que dans un pays démocratique. Jamais on n'aurait pu défoncer les systèmes de sécurité qui protègent les communications dans les régimes autoritaires... et celui qui s'y serait risqué aurait été vite fusillé, et sa famille torturée.

Les tactiques de Julian Assange, le louche patron de WikiLeaks, un individu sans domicile fixe recherché pour viol, ne visent en somme que des pays démocratiques - aujourd'hui les États-Unis, demain la France ou l'Allemagne -, dont les systèmes de défense sont moins imperméables que ceux des dictatures.

Bien sûr, la fuite actuelle, qui embarrasse grandement les États-Unis et risque d'endommager leurs relations avec des gouvernements étrangers, réjouit tout ce que la planète compte d'anti-américains.

On a presque envie de leur souhaiter, à ces esprits irresponsables, de vivre un jour dans un monde où l'unique superpuissance sera la Chine ou la Russie, voire un consortium de dictatures islamistes, et où les valeurs dominantes seront celles du totalitarisme. Les soi-disant apôtres de la Transparence verront alors ce qu'il adviendra de leur idéal.

Pour l'instant, que peuvent faire les diplomates? Ils se parleront par téléphone, dit-on. Quelle naïveté! Les renseignements transmis par les diplomates en poste à l'étranger doivent nécessairement faire l'objet de notes écrites pour assurer le suivi.

La seule protection valable réside dans l'instauration de mécanismes de sécurité plus resserrés. Il est anormal qu'un petit soldat de 22 ans, comme celui que l'on soupçonne d'être l'auteur de la fuite, ait eu accès à cette base de données secrètes.