L'émission qui passionne actuellement l'Amérique n'est ni une téléréalité où un prince charmant distribue des roses ni un concours de chant avec des juges méchants. Il s'agit de la reconstitution du procès controversé de l'ex-star du football O.J. Simpson, que relaie depuis mardi soir la chaîne câblée FX.

C'est un peu comme si TVA ou Radio-Canada diffusait, tous les lundis à 21 h, une télésérie en 10 épisodes sur l'épouvantable histoire du cardiologue Guy Turcotte et de son ex-conjointe Isabelle Gaston, avec des acteurs très connus dans les rôles principaux. Imaginez à quel point ça placoterait dans les chaumières.

C'est exactement ce qui produit avec American Crime Story - The People v. O.J. Simpson. Plus de 20 ans après les meurtres crapuleux de Nicole Brown (ex-épouse d'O.J.) et de son ami Ronald Goldman, les téléspectateurs se goinfrent encore du moindre détail à propos du gant de cuir noir, de l'étrange colocataire Kato Kaelin ou des taches de sang dans le Ford Bronco blanc.

Le premier épisode de cette docufiction, offert gratuitement sur la boutique d'iTunes, est captivant, car il nous catapulte dans les coulisses de cette affaire toujours nébuleuse. O.J. Simpson a peut-être été acquitté des deux assassinats - ce n'est pas vraiment un divulgâcheur que de l'écrire, c'est un fait historique -, mais, dans l'opinion publique, il est bien celui qui a tenu le couteau.

À l'image de Making a Murderer de Netflix, American Crime Story ravive notre indignation face au système de justice, qui abandonne trop souvent des victimes évidentes. On voudrait donc que la pugnace procureure Marcia Clark (Sarah Paulson) gagne son procès contre la vedette O.J. Simpson (excellent Cuba Gooding Jr). Mais on sait - et on le voit venir de très loin - que toutes les manigances du vaniteux avocat de la défense Robert Shapiro (John Travolta) torpilleront la cause de Me Clark.

American Crime Story réunit tous les ingrédients d'une télésérie explosive : une histoire vraie, des gens célèbres, des montagnes d'argent et des médias affamés.

« Vous avez vu la poursuite sur l'autoroute. Vous avez suivi le procès. Mais vous ne savez pas la moitié de ce qui s'est réellement passé », nous titille l'efficace bande-annonce de cette télésérie produite par Ryan Murphy (American Horror Story, Scream Queens).

Ç'aurait pu être franchement quétaine, tel un mauvais téléfilm à budget réduit, mais non. Même s'il est daté du milieu des années 90, le propos de l'émission, notamment tout ce qui a trait au racisme au sein de la police de Los Angeles, demeure d'actualité, pertinent et intelligent. Ça se dévore comme un chapitre de The Good Wife.

Dans la peau de Robert Kardashian, l'avocat et confident d'O.J. Simpson, vous reconnaîtrez immédiatement David Schwimmer, alias Ross le nerd dans la sitcom Friends. Oui, Robert Kardashian, comme dans le papa de Kim, Khloé et Kourtney Kardashian. D'ailleurs, O.J. a failli se suicider dans la chambre de l'une des soeurs Kardashian, où il fuyait les paparazzis avant son arrestation. La mère et gérante de l'empire Kardashian, Kris Jenner, incarnée par Selma Blair, fait aussi quelques mini coucous dans la série.

Nous sommes très nombreux à raffoler de ces productions (allô, Un tueur si proche sur Canal D !) recréant des crimes ayant frappé l'imaginaire collectif. Mais jusqu'à tout récemment, ce petit plaisir se dégustait un peu en cachette, avec une mini-dose de culpabilité, parce que ce genre n'a jamais été considéré comme de la grande télévision.

Plus maintenant. Avec la venue de la baladodiffusion Serial, de la minisérie documentaire The Jinx sur HBO et de l'excellent Making a Murderer de Netflix, la télé « true crime », comme l'appellent les Américains, sort enfin de son ghetto et intéresse des créateurs de talent, de même que des diffuseurs influents.

La même chose s'est produite avec les soaps, longtemps considérés comme quétaines et snobés par les branchés. Puis, une puissante vague a ramené ce genre en format hip-hop (Empire sur Fox), à la sauce palais de justice (How To Get Away With Murder d'ABC) ou en version autoréférentielle (Jane the Virgin de CW). Vieille recette, emballage moderne, ça fonctionne plus que jamais.

Vous passez des heures à zapper entre la chaîne Investigation (Mon voisin, le tueur) et les vendredis policiers de Canal D ? N'ayez plus honte de ce comportement, chers lecteurs. C'est la tendance télé de l'heure. Dites-vous que si HBO et Netflix s'y mettent, ce n'est plus du tout un crime que d'aimer la télé de crimes.