À Montréal, on semble attendre que les projets de conversion tombent du ciel pour le Royal-Victoria, l'Hôtel-Dieu, la bibliothèque Saint-Sulpice, l'Institut des sourds-muets, etc. À Lyon, au contraire, on refuse l'attentisme. Le patrimoine est plus riche et plus ancien là-bas, et pourtant, chaque bâtiment a droit à une conversion audacieuse... et souvent très surprenante. Suivez le guide.

D'Hôtel-Dieu à hôtel luxueux

Comme Montréal, Lyon a choisi de construire un nouvel hôpital plus adapté à la médecine d'aujourd'hui. Comme Montréal, il s'est retrouvé avec un immense bâtiment à convertir. Mais là-bas, on n'a pas attendu que l'hôpital se vide pour mener la réflexion. On n'a pas attendu les projets non plus. On les a provoqués... avec un résultat très audacieux !

Transformer le Royal-Victoria en comparaison, c'est de la petite bière...

L'Hôtel-Dieu de Lyon, c'est un bâtiment inscrit au Patrimoine mondial de l'humanité. C'est un édifice dont l'origine remonte au Moyen Âge. C'est un hôpital si vieux, en fait, que Rabelais y a pratiqué la médecine, imaginez !

Et pourtant, là-bas, on a trouvé une solution... avant de vider le bâtiment de ses occupants, pas après, comme on le fait à Montréal.

Lyon s'est fait pragmatique. Il a dressé une liste des fonctions dont il avait besoin en ville. Il s'est tourné vers le privé. Puis il a demandé à ce dernier de transformer l'Hôtel-Dieu... en hôtel cinq étoiles, avec bureaux, boutiques et centre des congrès, rien de moins !

Une mutation audacieuse pour cette ancienne maison de guérison, c'est vrai. Mais du coup, on a comblé les besoins de la ville et on a gardé l'édifice dans le giron public... sans dépenser un sou d'argent public !

« Vous savez, il ne faut pas congeler ni momifier le patrimoine, lance mon guide, Didier Repellin, architecte en chef des Monuments historiques de France. Il faut au contraire en être le promoteur ! Comme on le fait ici... »

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Visiter cet hôpital monumental, c'est se plonger dans l'histoire de Lyon. C'est parcourir 800 ans d'activités hospitalières. C'est passer d'un dôme à l'autre en franchissant chaque fois un nouveau siècle.

Il ne reste malheureusement rien des bâtiments érigés au XIIe siècle, mais le cloître de l'époque est intact. À côté, on trouve le plus ancien bâtiment encore debout, une chapelle construite en 1637. Et au-dessus, on voit le premier des trois dômes de l'Hôtel-Dieu, le dôme des Quatre Rangs.

On poursuit notre visite en longeant le Rhône et la façade de 1755, en arpentant 400 m de couloirs, de boiseries et de magnifiques ferronneries, ce qui nous permet de passer sous le deuxième dôme, monumental. C'est le Grand Dôme. « C'est incroyable ! s'exclame Didier Repellin en glissant la main sur le mur. Regardez-moi ces pierres : pas une fissure ! Alors que tous les bâtiments modernes sont fissurés ! »

Puis on continue notre chemin vers l'ouest en empruntant différents couloirs qui nous amènent vers le dernier dôme. C'est le dôme Pascalon, plus récent, construit en 1887.

En suivant les dômes qui structurent l'immense hôpital qui était en fonction il y a six ans à peine, on passe ainsi du XVIIe au XIXe siècle grâce à une succession de greffes si bien réussies qu'on se sent toujours dans le même bâtiment... jusqu'à ce qu'on tombe sur ses éléments les plus modernes, des salles et des labos médicaux ajoutés au XXe siècle. Des transplantations beaucoup moins réussies, disons.

« Cet édifice est une grande leçon d'harmonie... sauf dans l'histoire récente, se désole Didier Repellin. Il n'y a rien à garder de ce qui a été construit au siècle dernier. Rien ! Par bonheur, tout est amianté, donc il suffit de démolir ! »

Des morceaux disparaîtront donc, mais seulement ceux du siècle dernier, justement. Le projet d'Eiffage, qui a remporté le concours en 2010, visait en effet à conserver tous les bâtiments anciens.

« De nombreux Lyonnais sont nés dans cet édifice », souligne Bernard Vitiello, directeur de ce projet qu'on présente comme la plus importante conversion privée d'un monument historique de France. « Vous comprendrez donc que l'attachement de la population est très fort et les attentes, très grandes. Il faut y aller avec sensibilité. »

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Pour « légitimer » ce vaste projet de conversion de 250 millions d'euros (380 millions CAN), on a décidé de s'inspirer de l'histoire du complexe hospitalier. On va implanter une nouvelle fonction autour de chacun des trois dômes, et on va relier le tout en ouvrant au public la demi-douzaine de cours qui ponctuent l'ensemble patrimonial.

Autour du dôme des Quatre Rangs, la plus ancienne partie de l'hôpital, on implantera la Cité internationale de la gastronomie. On aménagera un restaurant dans le grand réfectoire des religieuses. Et on ouvrira un centre des congrès qui accueillera une majorité d'événements à caractère médical.

Sous le Grand Dôme, on trouvera la pièce maîtresse du projet, soit l'hôtel de 143 chambres. On maintiendra ainsi le caractère prestigieux de l'entrée du bâtiment, et l'on en profitera pour rendre la coupole accessible au grand public.

Et aux abords du dôme Pascalon, on installera des bureaux, des boutiques ainsi qu'un hall alimentaire où l'on tiendra des marchés publics. Rien d'hérétique ! précise Didier Repellin en me montrant des gravures anciennes. À l'époque, on finançait l'Hôtel-Dieu grâce à l'activité commerciale permise à cet endroit.

« Vous ne pouvez pas vous tromper si vous vous inscrivez dans l'histoire, ajoute l'architecte. Si la fonction ne coule pas de source, ce n'est pas ça. La fonction doit s'adapter au monument, jamais l'inverse. »

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La conversion peut surprendre. Après tout, on transforme une ancienne maison de nécessiteux en un palace luxueux. Mais pour s'assurer de ne pas vendre l'âme du lieu aux marchands du temple, Lyon s'est assuré de conserver la propriété publique de l'endroit.

La Ville a en effet opté pour un bail emphytéotique : le tout est converti, restauré et entretenu par le privé pour les 99 prochaines années, puis Lyon récupérera le tout sans frais, au terme du contrat.

Un procédé de plus en plus utilisé en France, afin de ne pas abandonner le patrimoine aux quatre vents (Marseille a aussi transformé son Hôtel-Dieu en hôtel). Un procédé, d'ailleurs, que proposent Héritage Montréal et le Groupe d'experts sur l'avenir des bâtiments hospitaliers excédentaires pour des édifices comme le Royal-Vic et l'Hôtel-Dieu.

« L'argent public qui était utilisé pour entretenir le bâtiment jusqu'ici peut ainsi servir ailleurs, précise Bernard Vitiello. Mieux, les autorités peuvent même toucher un loyer pendant 99 ans, puis redevenir propriétaires de tout le site par la suite. »

« Bien franchement, c'est tout bénef pour la Ville ! »

Le projet en bref

Ouverture : 2017-2018

Hôtel : 143 chambres

Centre de congrès : 500 personnes + 10 salles de réunion

Commerces : 45 boutiques + 9 restaurants et bars

Bureaux : 13 600 m2

Cité internationale de la gastronomie : 3600 m2

Habitation : 11 logements

Stationnement : 135 places

De prison à lieu de guérison

À côté de l'ancienne prison Saint-Paul, on trouve l'ancienne prison Saint-Joseph. Deux pénitenciers différents qui ont eu droit à un même sort : une conversion surprenante, qui a permis de transformer un lieu de rééducation en un lieu d'éducation. D'un côté, une université, de l'autre, une résidence pour étudiants et pour... convalescents. Un concept comme il n'en existe nulle part ailleurs.

1) Unique

De l'extérieur, le 13 bis, rue Delandine n'a rien de spécial. À l'intérieur non plus. Il s'agit d'un immeuble résidentiel comme il semble y en avoir bien d'autres à Lyon. Et pourtant, ce bâtiment est unique. Unique par son histoire, car on est sur l'emplacement d'une ancienne prison désaffectée. Unique par sa mission, car on y trouve un heureux mélange d'étudiants et de convalescents. Deux types de résidants fort différents... qui dépendent l'un de l'autre.

2) Étudiants

On trouve une bonne centaine de logements dans cet édifice qui vient tout juste d'ouvrir, dont 95 sont destinés à des étudiants. Mais pas n'importe lesquels, car ces jeunes résidants profitent d'un loyer 30 % moins cher qu'ailleurs... en échange de leur temps et de leur compassion. Pour signer un bail, ils doivent en effet consacrer au moins deux heures par semaine aux convalescents qu'ils côtoient sur le même palier. On ne parle pas d'un bail, d'ailleurs, mais d'une charte locative du « bien vivre ensemble ».

3) Convalescents

Une vingtaine de personnes qui sortent tout juste de l'hôpital habitent dans la résidence Emmanuel-Mounier. Certains y logent le temps de leurs traitements de longue durée au centre hospitalier voisin, d'autres profitent d'une hospitalisation à domicile. D'autres encore y transitent, car ils seraient seuls à la maison, autrement, durant leur convalescence.

3) Soins

À l'origine du projet, deux constats : la population vieillit et recourt de plus en plus aux soins hospitaliers... mais la durée des séjours à l'hôpital ne cesse de diminuer pour des questions de coûts. D'où cette résidence qui permet à des étudiants de s'impliquer, sous la supervision de professionnels de la santé bénévoles. Ils font des courses, ils répondent aux besoins quotidiens des malades et ils écoutent, tout simplement.

4) Intergénérationnel

Cette cohabitation nouveau genre a un double objectif. Rapprocher des gens dans le besoin de soins avec des gens dans le besoin d'argent. Rapprocher, aussi, des résidants de différentes générations qui, autrement, ne seraient pas portés à se côtoyer. En somme, selon le promoteur, c'est « un lieu d'humanité intergénérationnel ».

5) Ouverture

Pour le fondateur d'Habitat et Humanisme, qui a lancé le projet, « il s'agissait de desceller les barreaux invisibles en s'inscrivant dans une approche d'ouverture ». Ancien agent d'immeubles devenu prêtre, Bernard Devert compte de nombreux projets de cohabitation à son actif, mais aucun qui rapprochait étudiants et convalescents. « L'ouverture n'est jamais d'évidence. Il faut la volonté de la construire. »

6) Vie

On a donc fait d'un lieu d'isolation un lieu qui vise à briser l'isolation. On a fait de l'ancienne prison une maison de guérison. Mais il n'y a pas que ça. On a en effet ajouté d'autres fonctions et bâtiments autour du pénitencier, avec l'objectif d'offrir toutes les formes de vie au même endroit. La vie étudiante et la vie convalescente, dans la résidence. La vie active, avec une tour de bureaux. La vie de famille, avec des logements sociaux et des habitations à prix modique. Et la vie de quartier, avec des commerces de proximité et une brasserie, notamment, qui logera dans l'ancienne chapelle du pénitencier. D'où le nom du projet : « La vie grande ouverte ».