Gaétan Barrette a déjà bousculé le monde de la santé en forçant les médecins à prendre en charge plus de patients pour renforcer la première ligne et en se lançant dans une réorganisation administrative importante du réseau.

Il s'engage maintenant dans une troisième réforme qui ne sera pas autant sous les projecteurs de l'actualité en raison de son caractère technique, mais qui, selon moi, est peut-être la plus audacieuse et la plus porteuse.

Cette réforme, dont il a annoncé l'amorce la semaine dernière, consiste à repenser le financement des hôpitaux. Dans le système actuel, les établissements sont financés sur une base historique, c'est-à-dire que l'État verse aux hôpitaux un montant fixe déterminé en fonction de divers critères, comme la vocation ou le nombre de lits, auquel on applique chaque année un taux de croissance. Le ministre veut remplacer ce système par une formule où les sommes versées dépendront du volume d'activité de l'hôpital, une sorte de financement à l'acte.

Ce n'est pas une innovation. L'approche s'est répandue depuis plus d'une décennie dans le monde industrialisé. Le Québec est en retard.

C'est le ministre des Finances, Raymond Bachand, qui a lancé le bal en 2012 en créant le Groupe d'experts pour un financement axé sur le patient, présidé par Wendy Thomson de l'Université McGill, qui a déposé son rapport, « Pour que l'argent suive le patient », il y a bientôt deux ans. Ce processus a suscité des résistances de la part du ministère de la Santé et de ses ministres, tant le libéral Yves Bolduc que le péquiste Réjean Hébert. C'est M. Barrette qui a débloqué le dossier.

Qu'est ce que ça peut changer ? Avec ce nouveau système, un hôpital recevra plus d'argent s'il traite plus de patients. Actuellement, parce que l'enveloppe est fixe, il n'y a pas d'incitation pour qu'un hôpital se réorganise afin d'augmenter sa capacité d'accueil. Au contraire, un hôpital qui réussit à augmenter son volume d'activité risque d'être pénalisé financièrement, parce qu'il ne recevra pas un sou de plus pour couvrir ses dépenses additionnelles.

Pour que ce nouveau système de financement fonctionne, encore faut-il savoir combien on versera aux établissements pour les services qu'ils procurent. Et c'est là qu'on frappe un mur. Au Québec, on ne sait pas combien coûtent les procédures dans les hôpitaux ! C'est pour cette première étape préalable que le ministre Barrette a lancé la semaine dernière un appel d'offres d'environ 70 millions pour mettre en place un système qui permettra de savoir combien coûte ce que font nos hôpitaux. Bienvenue au XXIe siècle.

La connaissance de ces coûts permettra de mieux cerner un problème dont on connaît déjà l'existence, les écarts importants de coûts pour une même procédure d'un hôpital à l'autre. En établissant ce qui est un coût normal, en identifiant les meilleures pratiques, on pourra réaliser des économies, à condition de ne pas y aller de façon aveugle et en tenant compte de facteurs comme la qualité des soins, la nature des clientèles, les réalités régionales.

Mais l'impact final risque plutôt d'aller dans l'autre sens. Un système qui encourage les établissements à faire davantage aura pour principal effet de réduire le rationnement en santé et d'augmenter le nombre d'actes dans les hôpitaux et donc les dépenses en santé, comme l'a noté l'économiste Joanne Castonguay du CIRANO dans le rapport Analyse comparative des mécanismes de financement des hôpitaux.

Le financement à l'acte aura un troisième effet, celui de favoriser l'émulation, par exemple en permettant à un hôpital d'augmenter ses activités dans un domaine où il excelle, ou encore en créant une concurrence entre hôpitaux pour déterminer celui qui offre le meilleur service au meilleur coût. On introduirait ainsi un élément de concurrence à l'intérieur du système, pour qu'il devienne plus dynamique, sans remettre en cause son caractère public.

Sur papier, tout cela est bien beau. Mais le financement à l'acte n'est pas une panacée. Il fonctionne mieux dans les grands centres que dans les régions où un hôpital généraliste ne peut pas se spécialiser. Il peut avoir des effets pervers s'il pousse les établissements à se concentrer sur les actes payants. Sa mise en oeuvre exige donc beaucoup de doigté pour éviter qu'on applique mécaniquement des normes sans tenir compte de la complexité des épisodes de soin, de la qualité de la prestation.

Comme il se doit, les courants de gauche, très présents en santé, ont dénoncé cette réforme, que ce soit Amir Khadir ou les Médecins québécois pour le régime public, parce que l'idée de la concurrence leur donne de l'urticaire. Encore une fois, ils seront prêts à défendre des principes qui leur sont chers au lieu de défendre les malades, de défendre un statu quo qui ne donne pas de très bons résultats pour empêcher une réforme dont le principal résultat pourrait être de traiter plus de citoyens et de le faire plus rapidement.