Les Québécois, pour des raisons historiques évidentes, ont tendance à s'inspirer du modèle français. Ce peut être une bonne chose, car ce grand pays est exemplaire à plusieurs égards. Le problème, c'est que nous cherchons souvent à imiter ce qu'il y a de pire du modèle français, sa conception de l'État et sa façon de réglementer les activités quotidiennes.

Je crois que nous en avons un bel exemple avec nos réactions à l'intrusion d'Uber dans le monde du transport urbain. Il y a quelque chose de très français dans la façon dont les chauffeurs de taxis montréalais descendent dans la rue, dans la ligne dure des autorités québécoises, dans la multiplication des saisies par le Bureau du taxi de Montréal.

Cela m'a frappé hier en lisant les textes de deux de mes collègues - une chronique de François Cardinal et un éditorial de Paul Journet - qui, sans se parler, en sont essentiellement arrivés à la même conclusion, à savoir que la ligne dure ne donne rien et qu'il faut plutôt encadrer cette nouvelle forme de transport collectif, notamment en l'assujettissant à la TPS-TVQ et en la forçant à contribuer au rachat des permis des chauffeurs de taxi, très pénalisés par cette concurrence qui n'est pas assortie aux mêmes contraintes qu'eux. Un éditorial du Devoir allait dans le même sens.

Comment se fait-il, me suis-je demandé, que ces propositions très sensées, qui consistent à dire qu'on ne peut pas se mettre la tête dans le sable, et qu'il faut plutôt composer avec cette nouvelle réalité en l'encadrant correctement, se retrouvent dans les pages ou les écrans de nos journaux, mais pas dans les prises de position de nos gouvernants?

C'est là que je vois l'influence française. Dans ce dossier, elle s'exprime de deux façons. D'abord, à la base, par un militantisme vigoureux des chauffeurs de taxi, appuyés par les Travailleurs unis de l'automobile (TUA), plus proche de celui de leurs confrères parisiens que de ceux des autres grandes villes nord-américaines. Au Québec, ce militantisme, qui s'exprime avec encore plus de vigueur lorsqu'il s'agit de résister au changement, a une forte influence dans le débat public.

Ensuite, au sommet, avec la raison d'État, détenteur de la vérité. Elle s'est exprimée par la position de celui qui était le ministre des Transports, Robert Poëti, pour qui il semblait suffire de dire qu'Uber était illégal pour clore le dossier.

Mais qu'est-ce qu'on fait quand la loi ne correspond plus aux possibilités technologiques ni aux besoins et aux désirs des citoyens, et qu'elle est de toute façon inapplicable ?

Cette influence française, on la voit aussi à la réaction du chef de l'opposition, Pierre Karl Péladeau, qui se portait hier à la défense de M. Poëti dans sa page Facebook : « Le premier ministre Philippe Couillard devrait s'inspirer des meilleures pratiques dans le monde plutôt que de s'acharner sur un homme qui a tenté de bien faire son travail.»

M. Péladeau proposait un lien vers un article du Monde sur la loi proposée par les socialistes prévoyant un système de géolocalisation des taxis géré par l'État et une interdiction pure et simple pour tous les autres véhicules de transport collectif, y compris les limousines, de pouvoir être repérés par les téléphones intelligents. Ça va dans le même sens que les TUA, qui veulent imposer une désactivation de l'application Uber au Québec. Pendant ce temps, Edmonton dit oui à Uber, avec de solides conditions; Calgary et Toronto cherchent une solution qui n'exclut pas ce nouveau venu.

Le problème, c'est que même si nous parlons français, nous ne sommes des Français, mais bien des Nord-Américains. La France est un pays où l'on réglemente tout : le prix du livre, le port du voile, le nombre de dimanches où les commerces peuvent ouvrir dans les villes - un maximum de 12 - et le moment où les magasins ont le droit de faire des soldes - du 22 juin au 2 août cet été !. Cette philosophie a des conséquences sur les libertés individuelles, sur la concurrence, sur la défense des intérêts des consommateurs.

Il est évident qu'il faut encadrer Uber. Mais il faut aussi se rappeler que l'arrivée de cette entreprise a eu un effet extrêmement positif, en forçant une industrie paresseuse et médiocre à commencer à bouger, ce qui nous a montré que la concurrence a du bon. Même la belle initiative d'Alexandre Taillefer, Téo Taxi, une flotte de véhicules électriques, n'aurait pas la même traction sans l'électrochoc imposé par Uber.

Surtout, il faut se dire qu'il y aura d'autres Uber, d'autres innovations technologiques et culturelles qui viendront bousculer nos façons de faire. Au lieu de réagir en panique, comme on l'a fait pour le transport urbain et l'hébergement, il faut mettre au point des façons de faire qui nous permettront d'intégrer les nouveaux modèles sans détruire les anciens.