Depuis que la question des valeurs québécoises a fait surface dans le débat public, au printemps dernier, il est évident que l'appui à des mesures de restriction des droits religieux provient de deux catégories de citoyens bien différentes, les Québécois traditionnels attachés à leur religion et les Québécois qui défendent avec vigueur les principes de la laïcité.

Cette dichotomie, j'en ai parlé à plusieurs reprises, de façon intuitive, pour mettre en relief le double discours que le gouvernement Marois devait déployer pour réussir à rejoindre en même temps ces deux clientèles. Mais un très intéressant sondage CROP-La Presse, publié lundi, permet de raffiner cette intuition et même de la quantifier.

La maison CROP divise la population québécoise en quatre groupes en fonction de leurs attitudes vis-à-vis la charte, la religion, l'immigration. Le groupe qualifié de «catholiques pure laine», 29% de la population, et celui des «laïcs fermés», 21%, ont tendance à appuyer le projet de charte. De l'autre côté, les 21% de «laïcs ouverts» et les 29% de «croyants tolérants» ont plutôt tendance à s'y opposer.

Ce que décrit cette typologie, c'est un redéploiement de la carte idéologique du Québec, qui peut avoir des impacts importants sur les partis politiques, sur la dynamique électorale, et sur les conceptions traditionnelles qu'on se fait de la droite et de la gauche.

Selon ce sondage, l'appui pour le PLQ est à 35%, en baisse; le PQ, à 30%, est en faible hausse; la CAQ est à 21% et QS à 11%. Mais l'enquête permet de circonscrire la nature de ces appuis.

L'élément le plus significatif, c'est la transformation de la clientèle du Parti québécois. Le PQ, on s'en doute, domine dans les deux groupes favorables à la charte, recueillant 47% des appuis des «catholiques pure laine», et 38% des «laïcs fermés». Mais il y a une conséquence: 48% des électeurs du PQ, pratiquement la moitié, se concentrent chez ces catholiques traditionnels. Autrement dit, la principale base électorale du PQ se recrute maintenant chez des Québécois moins urbains, moins scolarisés et qui, dans une proportion de 74%, ont une perception négative de l'immigration.

Le PQ a toujours été une coalition, qui regroupait des Québécois de divers horizons réunis par l'objectif commun de la souveraineté. Le fait que le projet souverainiste, en hibernation, ne puisse plus jouer son rôle de trait d'union, modifie la composition du parti et ses stratégies.

On a souvent dit que le projet de charte ferait retourner René Lévesque dans sa tombe. En fait, l'image n'est plus appropriée, parce que, progressivement, le Parti québécois a délaissé son héritage. Le type d'appuis dont jouit maintenant le PQ suggère une autre filiation, celle de la tradition unioniste et ses prolongements modernes dans l'ADQ.

Le ministre Jean-François Lisée, dont les thèses sur l'affirmation du «nous» sont à l'origine du projet de charte, a noté, avec une manifeste satisfaction, que le projet de charte des valeurs recueillait 42% d'appuis au Canada.

Dans le sondage de Forum Research auquel il fait référence, le 42% décrit l'appui dans l'ensemble du Canada, y compris au Québec. Pour les neuf provinces du Canada anglais, le taux d'approbation est plus bas, à 37%. Sauf, il faut le noter, dans le cas des électeurs du Parti conservateur, d'accord avec la charte dans une proportion de 49%.

Quand on sait le nombre de fois où le gouvernement Marois a pu dire et répéter que les valeurs incarnées par le gouvernement Harper étaient incompatibles avec celles du Québec, cet enthousiasme spontané de la base conservatrice canadienne devrait inquiéter le ministre Lisée plutôt que le réjouir.