Si l'opinion publique québécoise tenait tant à la création d'une commission d'enquête sur la corruption, c'était d'abord à cause des scandales qui ont entaché la politique provinciale, l'affaire Tomassi, le rôle obscur de Tony Accurso, la politisation de la nomination des juges. C'était surtout le gouvernement Charest que l'on associait à la corruption, une suspicion renforcée par son refus obstiné de déclencher une telle enquête.

Depuis le début, la commission Charbonneau a concentré ses énergies sur Montréal et ses environs où elle a révélé l'existence d'un véritable cloaque. Cependant, bien des gens attendent avec impatience que la commission s'attaque au gros morceau, aux « vraies affaires », c'est-à-dire la corruption au gouvernement du Québec.

Mais jusqu'ici, rien n'annonce des révélations de même ampleur au niveau provincial. Il faut en effet constater que les médias, comme La Presse et Radio-Canada, qui ont joué un rôle central dans la mise à jour des scandales municipaux, n'ont rien trouvé de similaire au niveau provincial, malgré tous leurs efforts. Et que les témoins qui se sont mis à table à la commission affirment tous que la collusion à laquelle ils participaient à Montréal n'existe pas avec le gouvernement du Québec.

Il est évidemment risqué de faire des prédictions avant que la commission ne dévoile le fruit de ses recherches. Mais il serait très étonnant que l'on découvre à l'échelle de l'État québécois quelque chose de comparable aux systèmes municipaux de collusion et de corruption.

Bien sûr, on trouvera des choses. On connaît déjà le triste cas du ministre Toni Tomassi. On observe déjà des croisements entre la faune qui fricote au niveau municipal et celle qui opère au niveau provincial. On a aussi des cas de comportements inappropriés de ministres libéraux, d'événements-bénéfices aux invités douteux. On découvrira des magouilles régionales. Mais rien de cela ne se compare pas au système montréalais.

On a par contre établi l'existence d'un système très développé de contournement de la loi sur le financement des partis politiques, notamment à travers la pratique des prête-noms, tant au PQ qu'au PLQ. Les témoins à la commission en on parlé. Le directeur général des élections a quantifié ce qu'il appelle le financement sectoriel : 12,8 millions versés aux partis entre 2006 et 2011 par 532 firmes d'avocats, de comptables, d'ingénieurs et de constructeurs. Les ingénieurs du gouvernement ont calculé que 10 firmes de génie-conseil ont versé 13,5 millions entre 1998 et 2010.

Ces pratiques, où les entreprises sont fautives, tout comme les partis dont les techniques de sollicitation confinent au chantage, pervertissent le processus démocratique. Elles reposent en outre sur l'idée voulant que les contributions politiques puissent procurer des avantages, ce qui ouvre la porte au favoritisme.

Mais ce qu'il faut aussi souligner, c'est qu'il y a des degrés dans l'illégalité. Il y a des péchés véniels et des péchés mortels. Il y a des infractions et des actes criminels.

Le contournement de la loi électorale, aussi condamnable soit-il, n'a pas le même degré de gravité que la corruption de fonctionnaires et de politiciens, la collusion et les gonflements de factures qui sont des formes de vol à très grande échelle, ou encore les crimes contre la personne - tabassage et menaces. Les infractions à la loi électorale sont punies par des amendes, tandis que la corruption et la collusion peuvent envoyer quelqu'un en prison pour des années.

On a eu tendance, dans l'écoeurement général, à tout mettre dans le même panier, à tout traiter de la même façon, que ce soit un don illégal de 10 000 $ ou un stratagème maffieux de 100 millions. Ce ne serait pas mauvais de retrouver le sens des proportions.