Les amateurs et artisans du septième art peinent à y croire. Claude Jutra, le cinéaste mythique dont le nom est associé aux trophées qui récompensent chaque année l'excellence du cinéma québécois, était-il pédophile ?

Yves Lever, spécialiste du cinéma et professeur à la retraite, allègue dans un livre qui paraîtra mardi aux éditions du Boréal que le réalisateur aurait eu des pratiques sexuelles avec des adolescents de 14 ou 15 ans - voire moins - tout au long de sa carrière.

Ces allégations, reprises samedi dans une chronique de La Presse, ont fait vivement réagir. Sur les réseaux sociaux, le producteur Michel Trudeau, de chez Aetios, a écrit : « Vos trophées ? Dans le placard. » Le cinéaste Steve Galluccio, qui a notamment réalisé Funkytown, lui a ensuite répondu :« Personnellement, si j'étais nommé [au gala des prix Jutra], je boycotterais. »

En entrevue avec La Presse, le cinéaste Claude Fournier s'est aussi dit incrédule. Il a expliqué en détail avoir bien connu Claude Jutra, qui a même été pendant quelque temps son amant. Jamais il n'a cru que le cinéaste pouvait être attiré par des mineurs.

« Je ne dis pas que ce n'est pas arrivé, ça se peut que ça soit arrivé. Mais moi, je ne l'ai pas connu particulièrement attiré par les enfants. [...] Si Claude Jutra avait été un vrai pédophile, on l'aurait su. Yves Lever est mieux d'avoir des câlisse de bons arguments », soutient M. Fournier

Quand le biographe l'a approché pour obtenir son témoignage pendant la rédaction de son livre, il a été surpris par ces nouveaux faits. « C'est lui qui me l'a appris », affirme-t-il.

Ce n'est qu'après coup, en y réfléchissant, que Claude Fournier s'est souvenu que d'anciens enfants-acteurs qui avaient travaillé avec Jutra lui avaient affirmé que l'homme pouvait être « un peu collant et agaçant ».

Or, encore à ce jour, personne n'aurait officiellement porté plainte contre le défunt réalisateur, nous a-t-on dit. Rappelons que Claude Jutra, atteint de la maladie d'Alzheimer, s'est suicidé le 5 novembre 1986.

YVES LEVER EXPLIQUE SA DÉMARCHE

Dans le milieu du cinéma québécois, certains remettaient en question samedi le choix du mot « pédophile » choisi par Yves Lever. Il faut remettre ces allégations dans leur contexte, disaient certains. Dans les années 70, l'âge du consentement sexuel était de 14 ans.

Yves Lever est toutefois catégorique. S'il refuse de divulguer l'âge de la plus jeune des victimes alléguées de Claude Jutra, il précise qu'elle avait moins de 14 ans.

Pour en arriver à ces conclusions, le spécialiste du cinéma affirme avoir parlé avec plus de 10 personnes, qui ont toutes observé les comportements de Claude Jutra pendant sa carrière. Or, le biographe avoue n'avoir jamais parlé avec aucune des victimes alléguées. Pendant son enquête, Lever a réussi à identifier l'une des victimes. Cette personne a toutefois catégoriquement refusé de lui accorder une entrevue.

« Mais j'ai recueilli beaucoup de témoignages ! Des gens qui ont vu [les comportements sexuels de Claude Jutra] de très, très près. Je ne donnerai par contre pas leurs noms », a conclu Yves Lever, ajoutant que le passage sur la présumée pédophilie de Claude Jutra ne représentait qu'un très court passage du livre.

Du côté de Québec Cinéma, l'organisme qui chapeaute le gala des prix Jutra, on a préféré ne pas commenter l'affaire, samedi.