Le défi du réalisateur Jean-François Pouliot était de taille: réinterpréter la classique Guerre des tuques d'André Melançon tout en conservant le canevas de ce premier Conte pour tous devenu culte. Une histoire transformée en film d'animation 3D avec la bénédiction de son producteur, Rock Demers.

Jean-François Pouliot a pris les grands moyens pour séduire de nouveaux jeunes publics avec sa relecture de La guerre des tuques. Le réalisateur de La grande séduction s'est en effet donné beaucoup de liberté dans la transformation du scénario de Roger Cantin et de Danyèle Patenaude. Une liberté respectueuse de l'oeuvre originale, insiste-t-il.

«Même s'il s'agit d'un remake, j'ai l'impression que mon apport a été important, a-t-il admis au cours d'un entretien avec La Presse. On a eu toute la liberté de revoir le scénario, mais on voulait que les fans du film original se retrouvent. On voulait aussi conserver certaines répliques, qui font partie du bonheur de La guerre des tuques. Pensez à: «La guerre, la guerre, c'est pas une raison pour se faire mal!»»

Le premier Conte pour tous, rappelons-le, met en scène des enfants de 11 ou 12 ans en congé pendant la période des Fêtes. À l'initiative du jeune Luc Chicoine, une grande bataille de boules de neige s'organise dans le village - le film avait été tourné à Baie-Saint-Paul. Un butin de guerre est même destiné aux vainqueurs qui occuperont le fort au dernier jour des vacances.

Comme dans le film de Melançon, deux clans se formeront, l'un dirigé par Luc et l'autre, par Sophie Tremblay. Mais les deux «généraux» vivront leurs premiers frissons amoureux. Qui ne se souvient pas de la fameuse réplique: «T'as de la neige là... t'as un trou dans ta mitaine...» et du petit baiser que Luc dépose vaillamment sur la bouche de Sophie, sans lui demander la permission.

On retrouvera bien sûr les jumeaux Leroux (André Sauvé), Ti-Guy-la-lune, la petite Lucie (Sophie Cadieux), Pierre et sa chienne Cleo et le grand Chabot (Gildor Roy). François-les-lunettes (Hélène Bourgeois Leclerc) est toujours au coeur du récit, mais il n'est plus vietnamien! C'est le personnage de Maranda (Anne Casabonne), un jeune Noir, qui assure la diversité culturelle de cette nouvelle distribution.

«L'idée brillante des Contes pour tous était de mettre en scène de vrais enfants, note Jean-François Pouliot. C'était la première fois que des enfants québécois voyaient des films où ils pouvaient se reconnaître. Mais quand, 30 ans plus tard, on fait un film d'animation, on n'a plus ça... Tout ce qui reste, c'est l'histoire. On s'est donc permis de la revoir et de se questionner sur les motivations des personnages.»

Le changement le plus important concerne le personnage frondeur de Luc Chicoine, qui dans son film devient timide, doux, à la limite anxieux. «Dans le film d'origine, je ne le trouvais pas sympathique, Luc, confesse-t-il. Il était baveux et dur, mais il avait en lui comme un secret, qu'on ne découvrait jamais... J'avais envie d'approfondir son histoire, pour qu'on comprenne les raisons de sa fragilité.»

C'est ainsi que Jean-François Pouliot a imaginé la mort du père de Luc, à la guerre. Son clairon est tout ce qu'il lui reste de lui - contrairement au film de 1984, où l'on comprend que le clairon appartient à son grand-père. Le jeune garçon cheminera donc dans l'acceptation de la mort de son père. Son béguin amoureux pour Sophie participera au grand bouleversement qu'il vivra.

«Dans le film d'origine, c'est Luc Chicoine qui poussait l'histoire, précise le réalisateur. C'est parce qu'il était un «boss des bécosses» que la guerre a eu lieu, mais ce rôle-là, je l'ai confié au personnage de Ti-Jacques [Catherine Trudeau], qui est son unique ami et qui le pousse à provoquer la bande d'amis pour que la guerre ait lieu. Tout ça pour qu'on puisse percer le secret de Luc.»

La guerre des tuques est un film sur le deuil, affirme Jean-François Pouliot - on ne divulgâchera rien en rappelant que la chienne Cleo meurt à la fin! «C'est un peu l'hiver qui a changé la vie de ces enfants, croit le réalisateur. Il y a le deuil de son père, celui qui survient à la suite de la mort de Cleo, mais aussi le deuil d'une partie de leur enfance, parce qu'ils grandissent durant ces vacances.»

Ce conte, s'il avait été écrit aujourd'hui, n'aurait pu contenir une scène où le chien meurt, croit Jean-François Pouliot. «On est beaucoup trop politically correct, estime-t-il. On aurait été obligés de ressusciter le chien! On a oublié que le conte aborde des sujets durs et parfois horribles justement pour que les enfants puissent avoir les anticorps pour les affronter dans la vie après.»

Avec le coréalisateur François Brisson, mais aussi les comédiens Marc Béland et Pascale Montpetit, Jean-François Pouliot a travaillé fort pour donner une attitude corporelle unique à chacun des personnages. «Je voulais qu'ils marchent différemment. Je voulais aussi donner la sensation de l'hiver. Je voulais que ça sente la laine mouillée. J'ai l'impression qu'on y est arrivés.»

Jean-François Pouliot, qui a été plutôt discret depuis le succès fulgurant de La grande séduction il y a 12 ans - il y a eu le Guide de la petite vengeance, qui n'a pas été bien reçu, et plus récemment, Dr. Cabbie, sorti l'an dernier. Avec La guerre des tuques en 3D, il espère poursuivre sa lancée actuelle - il réalise Les trois p'tits cochons 2 et l'adaptation cinématographique des Bougon.

Qu'est-ce qu'on gagne et qu'est-ce qu'on perd en faisant un film d'animation? «Ce qu'on gagne, c'est la chance de perfectionner le récit, mais ce qu'on perd, c'est une certaine magie de l'acteur, répond le réalisateur. C'est sûr que les personnages sont plus synthétiques, mais ils portent quelque chose d'intéressant. La beauté de ces enfants réside dans leur capacité de renaître tout en traversant des deuils.»

Une trame musicale signée Éloi Painchaud et Jorane

Les inconditionnels du film original d'André Melançon se souviendront de la pièce-titre du film, L'amour a pris son temps, chantée par Nathalie Simard. Éloi Painchaud et Jorane, qui signent la trame musicale de La guerre des tuques 3D, la reprennent dans une nouvelle version chantée par Marie-Mai, Groenland, Louis-Jean Cormier, Marie-Pierre Arthur et Fred Pellerin. Ce sont d'ailleurs ces mêmes interprètes qui se relaient pour chanter les six pièces chantées de cet album bilingue qui privilégie les cordes (guitares, ukulélé). Céline Dion est également de l'aventure. Elle chante avec Fred Pellerin la pièce du générique de la fin, L'hymne. Jonathan Painchaud complète la distribution musicale francophone avec une interprétation plus rock de la pièce Les héros. Pour les pièces anglophones de l'album, les groupes Simple Plan et Walk Off The Earth chantent aux côtés de Groenland, Marie-Mai et Céline Dion, qui reprend Hymn, mais seule.

Les voix

Ils sont les voix des personnages animés de La guerre des tuques 3D que vous verrez bientôt au grand écran. Certains, comme Luc Chicoine, Sophie Tremblay, François les Lunettes ou Chabot, ont survécu à la «relecture» de Jean-François Pouliot. D'autres ont été créés de toutes pièces, comme le petit Maranda. La Presse a brièvement parlé à six d'entre eux.

Nicholas Savard L'Herbier (Luc Chicoine)

Malgré son jeune âge, Nicholas Savard L'Herbier a doublé de nombreuses voix depuis 20 ans, dont celles de Robert Pattinson dans Twilight et de Dave Franco dans Now You See Me. L'acteur a dû composer avec un tout nouveau personnage, son Luc Chicoine étant timide et introverti, à l'opposé de celui que l'on a connu dans le film de Melançon, baveux et dur, qu'on surnommait «le boss des bécosses». «C'était un beau défi de créer ce personnage, qui devient un leader malgré lui. À la fin, on se rend compte de tout le chemin qu'il a parcouru. Honnêtement, c'est un cadeau de participer à un projet comme celui-ci.»

Mariloup Wolfe (Sophie Tremblay)

La comédienne et réalisatrice Mariloup Wolfe n'en est pas à ses premières armes en matière de doublage. Elle a notamment prêté sa voix à la Barbie d'Histoire de jouets 3. Le personnage de Sophie Tremblay, qui dirige les opérations contre l'équipe de Luc Chicoine, l'a beaucoup influencée. «Dans la première version que j'ai entendue en anglais, je la trouvais vraiment trop fine. Dans mon souvenir, elle n'avait pas la langue dans sa poche, elle pouvait être assez raide avec sa soeur. Elle avait du leadership; après tout, c'était une générale. Je préférais me rapprocher de la Sophie qu'on a connue dans le film original.»

Anne Casabonne (Maranda)

Anne Casabonne prête sa voix à l'un des nouveaux personnages: Maranda. Ce jeune Noir est l'un des personnages les plus comiques de la bande. Au départ, la comédienne qui a incarné le personnage de Claude dans La galère a auditionné pour le rôle de Luc, mais sa voix ne «collait» pas. «C'est un personnage un peu casse-gueule, donc ma voix convenait mieux. J'étais tellement contente de participer à ce film, qui est vraiment important pour moi. Sans nous faire la morale, on devine les enjeux importants pour les enfants. Moi, je trouve que c'est vraiment bien fait.»

ILLUSTRATION FOURNIE PAR FILMS SÉVILLE

Luc et Sophie

Hélène Bourgeois Leclerc (François les lunettes)

Personnage central de La guerre des tuques, François les Lunettes est l'architecte du fort qui sert de terrain de jeu à la bande d'enfants. Hélène Bourgeois Leclerc a conservé les lunettes du personnage, mais elle a perdu ses yeux bridés... «C'est un petit gros avec des lunettes maintenant, rigole l'actrice. C'est l'ambitieux, le rêveur, celui qui voit grand, évalue-t-elle. Je le trouvais déjà très attachant, parce qu'il est tellement déterminé à mettre de l'avant toutes ses idées. Il est ingénieux. Mon défi était de le rendre tout aussi attachant.»

André Sauvé (les jumeaux Georges et Henri Leroux)

«On m'a peut-être choisi pour mon côté multiple», blague l'humoriste André Sauvé qui prête sa voix aux jumeaux Leroux. Les deux garçons qui portent une grosse veste en laine de mouton sont à la fois volontaires et trouillards. «Ils sont très naïfs, il n'y a aucune malice chez eux. La réplique "La guerre, la guerre, c'est pas une raison pour se faire mal" les définit bien, je trouve.» C'est la toute première fois qu'André Sauvé fait une voix pour un film d'animation. «Je me suis demandé si je devais rouler mes r, parce que je suis capable de les enlever, mais on m'a dit de les garder!»

Gildor Roy (Chabot)

Gildor Roy a joué dans le dernier Conte pour tous, La gang des hors-la-loi, sorti il y a deux ans. Cette fois, il prête sa voix au personnage du grand Chabot. «Chabot, c'est le gars qu'on regarde en disant: il fera pas grand-chose de sa vie. Pis, 10 ans plus tard, c'est lui qui gère une grosse compagnie!» Gildor Roy se souvient avoir été doublement marqué par ce film: «Moi, j'haïs l'hiver. L'exploit de tourner dans la neige m'a donc beaucoup marqué. Ce qui m'a aussi marqué, c'est le doigté avec lequel André Melançon a réussi à faire jouer les enfants, parce qu'il n'y a rien de pire qu'un enfant qui joue mal!»

ILLUSTRATION FOURNIE PAR FILMS SÉVILLE

François les Lunettes