Vous ne l'entendrez pas lancer «Viande à chien!» ni écumer de jouissance en caressant son or. Bien qu'avare et manipulateur, le Séraphin de Vincent Leclerc est loin des grincheux tyranniques qui ont marqué l'inconscient collectif des Québécois; ceux interprétés par Jean-Pierre Masson (à la télévision), Hector Charland et Pierre Lebeau (au cinéma).

Si l'interprétation de l'acteur de 40 ans fait l'unanimité parmi les critiques de télévision (qui ont vu les deux premiers épisodes des Pays d'en haut), Vincent Leclerc, lui, a douté jusqu'à la toute dernière minute.

«Les premières semaines de tournage, à chaque pause, je croyais qu'on viendrait me dire: "Vincent, tu es bien gentil, mais finalement, ça ne marchera pas."»

Longtemps, Vincent Leclerc s'est senti comme un imposteur dans son métier. «Le doute a été un moteur important dans ma carrière, dit l'acteur. Ça m'a forcé à me donner des coups de pied au derrière pour avancer.»

Un parcours atypique

Vincent Leclerc n'a pas fait les grandes écoles d'art dramatique. Il n'appartient pas non plus à une famille ou une «gang» de théâtre. Le jeune Leclerc a grandi en Outaouais avec des parents diplomates. Il a étudié le théâtre à l'Université d'Ottawa, puis s'est déniché un emploi comme «fonctionnaire-comédien» au Musée canadien de l'histoire, à Gatineau.

«Je jouais des personnages dans de courtes pièces illustrant l'histoire du Canada, dit-il. Je pratiquais mon art et, contrairement aux autres comédiens, j'avais une sécurité d'emploi, une caisse de retraite, etc.»

Mais il ne se voyait pas fonctionnaire toute sa vie.

Le comédien Yves Jacques, un ami de sa famille, l'a convaincu d'aller se perfectionner en Europe. Il a donc quitté son poste au Musée pour aller étudier le jeu à Paris. Au retour, comme l'acteur est parfaitement bilingue, il a travaillé d'abord au Canada anglais.

Pendant 18 ans, il est passé d'une série en anglais (Being Human) à un film en français, et vice versa. Aujourd'hui, son visage est plus connu que son nom. On a vu Leclerc dans Mauvais karmaTout sur moi (le serveur antipathique), 19-2 (Ian Hétu), Piché - Entre ciel et terre (le copilote), ainsi que dans des publicités, dont celle de Tangerine (c'est lui, le grand roux qui veut nous faire épargner en ligne).

Le rôle qui va changer sa vie, cet hiver, est arrivé (presque) par hasard. «J'ai d'abord auditionné pour un autre personnage des Pays d'en haut. Quelques semaines plus tard, mon agent m'a appelé pour me dire qu'il avait une bonne et une mauvaise nouvelle pour moi: "Tu n'as pas le rôle, mais le réalisateur [Sylvain Archambault] veut te revoir pour le personnage de Séraphin!"»

Au-delà du mythe

Depuis sa création, en 1933, Séraphin Poudrier a imprégné fortement la mémoire collective et la culture populaire au Québec. Son prénom est devenu synonyme d'un vilain défaut pour illustrer que l'appât du gain est péché.

«C'est déjà stressant de décrocher un premier rôle dans une nouvelle série à la télévision. Alors, composer un rôle à partir d'un personnage mythique et détestable que tout le monde croit connaître, c'est doublement stressant.»

Aidé par les textes de Gilles Desjardins (adaptés de l'oeuvre de Claude-Henri Grignon) et la direction de Sylvain Archambault, Leclerc a donc plongé pour proposer sa vision du personnage. «J'ai voulu montrer le parcours de Séraphin afin de mieux comprendre ses intentions, explique le comédien. Pourquoi Séraphin est-il devenu avare et détestable? Personne ne se lève le matin en se disant qu'il va être méchant aujourd'hui.»

«Séraphin se sert de la méchanceté ou de la manipulation pour atteindre ses objectifs, poursuit Vincent Leclerc. À mon avis, un personnage méchant sera intéressant dans la mesure où le public peut voir sa faille; pas seulement une façade. Ensuite, libre à nous de le juger ou de le haïr.»

Un personnage tourmenté

Le Séraphin des Pays d'en haut ressemble à un homme tourmenté de 2016 qu'on aurait transposé dans le passé.

La colonisation des Laurentides à la fin du XIXe siècle, les habitants de Sainte-Adèle, le curé Labelle, la pauvreté et les balbutiements du nationalisme canadien-français: l'oeuvre de Grignon est là, mais dans une facture absolument moderne, tel un croisement entre le western américain et le folklore québécois.

«C'est une autre proposition de l'oeuvre pour une autre époque, note Leclerc. Les textes de Gilles Desjardins sont magnifiques. Il s'est débarrassé des patois pour donner une langue actuelle. On est plongé dans un monde dur, hostile et violent.»

Après tout, qui a dit que la colonisation était une partie de plaisir?

La série débute lundi prochain et ICI Radio-Canada Télé a déjà commandé une deuxième saison. Les producteurs (Sophie Deschênes et François Rozon) aimeraient que l'histoire s'étende sur six ou sept saisons...

«Je suis très content que ça arrive à ce moment-ci de ma carrière, à 40 ans, car je ne me fais aucune illusion ni appréhension. Je vais simplement profiter de la ride», conclut Vincent Leclerc.

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La série Les pays d'en haut démarre le 11 janvier à Ici Radio-Canada Télé.