Les amoureux d'opéra ont de quoi s'en mettre plein la vue cette semaine avec le nouvel Otello de l'Opéra de Montréal, production spectaculaire et captivante dont la première a eu lieu samedi soir.

Sur le plan visuel, on peut lui attribuer une note presque parfaite. En effet, la mise en scène dynamique de Glynis Leyshon est soutenue par d'intelligents effets visuels et des éclairages artistiques composant de superbes tableaux. À la fin de l'acte I, par exemple, le décor se constelle tandis qu'Otello et Desdemona chantent leur amour. L'effet produit est remarquable. À d'autres moments, des images de mer agitée ou de cités orientales, projetées sur des voiles mouvantes au milieu du décor, injectent du mouvement et du réalisme sans détourner l'attention des scènes en cours.

Ces touches magiques sont les bienvenues dans un opéra qui, s'il est un chef-d'oeuvre, n'en dure pas moins deux heures et demie sans être ponctué de ces airs célèbres dont le public est friand. Il s'agit, enfin, d'un bel exemple d'intégration harmonieuse des technologies dans la scénographie, alors que les effets spéciaux contribuent à l'expérience esthétique sans donner l'impression d'être des gadgets superflus ajoutés pour faire moderne, comme c'était le cas, l'an dernier, pour Samson et Dalila. Cette touche contemporaine, jumelée à de somptueux costumes d'époque, permet de trouver un juste milieu entre tradition et renouveau. Ni relecture agressante ni kitsch poussiéreux, mais un bel équilibre qui devrait plaire à tous.

PRESTATIONS INÉGALES

Parce qu'il s'agit d'une adaptation d'une pièce de Shakespeare aux personnages complexes et plus grands que nature, le jeu d'acteur, dans Otello, est plus important qu'il peut l'être dans bien des opéras. Au-delà de la musicalité d'un chanteur, c'est le supplément de véracité qui lui permettra de toucher le spectateur. À ce chapitre, les prestations sont inégales.

Le ténor lituanien Kristian Benedikt dégage la prestance physique et la puissance vocale qu'il faut pour incarner un Otello respectable. Il n'est toutefois ni époustouflant ni exempt de défauts. S'il possède une voix costaude et l'endurance nécessaire, sa diction est un peu molle, son timbre est terne et l'on se demande même s'il n'est pas grippé. Sur le plan du jeu, ses expressions faciales, limitées, oscillent entre une moue penaude et une colère forcée peu convaincante, ce qui fait de lui un Otello plus débonnaire que redoutable et plus unidimensionnel que déchiré par des conflits intérieurs.

La prestation de Benedikt, surtout, pâlit en comparaison de celle du charismatique et expressif baryton grec Aris Argiris, qui vole littéralement la vedette en Iago chaque fois qu'il entre en scène. Non seulement il est plus impressionnant sur le plan vocal, mais il se révèle fabuleux comme acteur. On savoure également la présence du ténor québécois Antoine Bélanger, qui a fait énormément de progrès à tous points de vue depuis l'époque où il incarnait Rodolfo dans La bohème, en 2011. Sa voix est plus belle que jamais et son numéro d'homme ivre cabriolant au premier acte nous révèle un acteur talentueux, agile et sûr de lui.

Hiromi Omura, en Desdemona, est aussi impeccable et superbe vocalement qu'à son habitude, mais sa présence détonne parmi les autres personnages, comme si la metteure en scène ne savait pas quoi faire d'elle. On sait pourtant que la soprano japonaise est capable de bien jouer puisqu'elle l'a démontré plusieurs fois, à Montréal, dans d'autres rôles. S'il est vrai que son personnage de femme-objet lui donne peu de latitude, l'attitude figée de potiche craintive qu'elle adopte finit par nuire à la transmission des émotions musicales.

Parmi les personnages secondaires, le seul qui se démarque est l'Américain Valerian Ruminski, avec sa voix de basse riche et onctueuse dans le rôle de l'ambassadeur Lodovico. Les autres s'avèrent moyens, voire ordinaires. L'OSM, dirigé avec panache par Keri-Lynn Wilson, remplit bien son rôle. Sa présence nous procure des moments sublimes, notamment grâce à l'intervention des vents pendant la scène de la prière de Desdemona au dernier acte.

Malgré quelques défauts, cette production d'Otello est réussie : satisfaisante musicalement, magnifique visuellement et plus intéressante, dans l'ensemble, que les dernières productions d'opéras de Verdi (Nabucco, Falstaff) présentées à l'Opéra de Montréal.

Les prochaines représentations auront lieu les 2, 4 et 6 février à la salle Wilfrid-Pelletier.

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Hiromi Omura, en Desdemona, est aussi impeccable et superbe vocalement qu’à son habitude.