Pour la première fois en 26 ans, Lisa Fischer n'accompagnera pas les Rolling Stones en tournée quand ils se lanceront à la conquête de l'Amérique du Sud à compter de mercredi. À 57 ans, la choriste de métier a préféré voler de ses propres ailes et elle s'arrêtera au Corona ce soir avec le trio Grand Baton.

Malgré son talent incontestable, Lisa Fischer avait pratiquement renoncé à une carrière solo il y a une vingtaine d'années. Son premier album, So Intense, avait été bien reçu et la chanson How Can I Ease the Pain? lui avait valu un Grammy en 1992, mais les astres n'étaient pas bien alignés et son deuxième album n'a jamais vu le jour.

Elle a donc continué à jouer avec éclat son rôle de choriste au service des Stones, de Sting et de Tina Turner. Elle ne s'est jamais mariée et n'a pas eu d'enfants, mais elle ne regrette pas du tout d'avoir choisi ce métier, comme elle l'a dit dans le film 20 Feet From Stardom. C'est ce documentaire primé, paru en 2013 et racontant l'histoire de battantes comme elle, Darlene Love et Merry Clayton, qui a ressuscité la carrière de Lisa Fischer.

«Le film a piqué la curiosité de ceux qui l'ont vu, dit-elle au téléphone. Contre toute attente, on s'est mis à m'appeler pour me proposer de chanter ici et là. Jusque-là, je faisais ma petite affaire et je n'avais même pas d'imprésario. Ce film m'a donc réellement ouvert des portes.»

Carré de sable

La chanteuse a confié sa carrière à Linda Goldstein qui avait en tête son parfait complément musical en la personne de Jean-Christophe Maillard, un Guadeloupéen d'origine qui a travaillé à Paris avec Michel Fugain, Angélique Kidjo, Michel Jonasz et Richard Bona avant de s'établir à New York.

Depuis 2014, Lisa Fischer fait équipe avec Maillard et son groupe Grand Baton, complété par le bassiste Aidan Carroll et le batteur Thierry Arpino.

Il lui a parfois fallu jongler avec des horaires serrés, comme l'été dernier quand elle a chanté en ouverture du Festival de jazz d'Ottawa avant de retrouver les Stones sur scène le lendemain à Pittsburgh. Mais cette année, elle a décidé de se consacrer entièrement à son propre projet au moins jusqu'en octobre. Elle compte même aller en studio avec Grand Baton d'ici peu: «On va jouer comme le font les enfants dans un carré de sable et on va voir ce que ça va donner.»

Sur scène, les trois musiciens de Grand Baton aiment bien improviser et se lancer dans de longs solos. La chanteuse ne demande pas mieux.

«J'ai des frissons rien qu'à y penser parce que je n'ai jamais eu ce genre de liberté propre aux enfants auparavant.»

Ensemble, ils s'amusent à transformer des chansons des Stones, de Led Zeppelin, de Robert Palmer ou de Little Willie John dans lesquelles, selon l'inspiration du moment, Lisa Fischer peut glisser un emprunt à Michael Jackson, Queen ou Chic.

Ça n'a pas été facile pour elle de dire non à ses vieux amis des Stones qui l'ont encouragée à voler de ses propres ailes. «Ils ont trouvé une chanteuse fantastique, Sasha Allen, une belle jeune femme qui travaille fort», dit celle qui ne peut jurer qu'elle renouera un jour avec Mick, Keith et compagnie, dont les projets d'avenir sont un secret bien gardé.

Gimme Shelter

Chose certaine, les fans des Stones n'oublieront pas de sitôt l'éblouissante chanteuse qui a donné la réplique à Mick Jagger dans la chanson Gimme Shelter pendant toutes ces années. Dans 20 Feet From Stardom, Jagger en parle comme d'un moment de «combustion spontanée».

Quand elle a commencé à chanter Gimme Shelter avec les Stones, Lisa Fischer savait trop bien l'ampleur du défi qui l'attendait, Merry Clayton s'étant approprié la chanson sur l'album Let It Bleed.

«Je suis consciente qu'il n'y aura pas une autre chanteuse comme Merry Clayton, dit-elle. Elle a mis tout son coeur, son âme et son sang dans cette chanson. Je me disais que jamais je ne pourrais sonner comme elle, mais j'ai fait de mon mieux pour être là pour Mick en essayant d'incarner l'énergie que Merry nous avait transmise.»

Lisa Fischer a enfin pu rencontrer Merry Clayton lors de la présentation de 20 Feet From Stardom au festival Sundance en 2013.

«J'étais tellement heureuse que je l'ai embrassée sur la bouche, raconte-t-elle en pouffant de rire. On s'est étreintes et elle m'a dit qu'elle était très fière de moi.»

Oui, reconnaît Lisa Fischer, le fait de chanter dans l'ombre des vedettes a sans doute un peu nui à son épanouissement artistique personnel. «Mais, ajoute-t-elle du même souffle, j'ai pu voir des artistes fantastiques dans le feu de l'action, je les ai vus grandir à travers leur musique, depuis l'enregistrement d'une chanson à sa version sur scène. C'est un véritable cadeau d'être témoin de ça. Un cadeau qui n'a pas de prix.»

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Au Corona ce soir à 20 h.

Lisa au service de...

MICK JAGGER: «Un véritable tapis volant auquel tu t'accroches comme si ta vie en dépendait. Mick est électrisant, explosif, tellement en vie! Sur scène, tu ne sais jamais ce qu'il va faire. C'est une créature de la musique.»

STING: «Un artiste plus introspectif. Il a une façon bien à lui de se mettre en bouche les paroles de ses chansons. C'est le plus fantastique conteur mélodique de notre époque.»

TRENT REZNOR: «Il m'a appelée à cause du film [20 Feet From Stardom], je pense. J'avais entendu parler de Nine Inch Nails, mais je ne connaissais pas vraiment leur musique. Trent était très doux et poli au bout du fil, mais, quand j'ai écouté leur musique, j'ai pouffé de rire: était-ce bien le même gars à qui je venais de parler? C'était lui.»

TINA TURNER: «Comme Mick, elle est explosive. Elle a un grain dans la voix et personne ne chante comme elle. Dès qu'elle ouvre la bouche, on sait que c'est elle: on entend ses empreintes digitales dans sa voix, ainsi que son coeur et sa force. Elle m'inspire.»

LUTHER VANDROSS: «Mon mentor, mon professeur et celui qui me consolait. J'écoutais sa voix et elle me guérissait. Il m'a tellement appris. C'était un homme patient, indulgent et drôle. Il me manque tellement.»