David Bowie n'a plus jamais donné de spectacle après sa tournée Reality de 2004, écourtée en raison d'un malaise cardiaque. Le producteur Serge Grimaux nous raconte le dernier spectacle de cette ultime tournée du grand disparu.

Dans le grand livre de l'histoire du rock, il est écrit que David Bowie a donné son tout dernier spectacle au festival allemand Hurricane le 25 juin 2004. C'est rigoureusement vrai.

Sauf que, festival oblige, ce n'était pas le spectacle complet de la tournée Reality qu'on avait vu à Montréal en décembre 2003. Le véritable dernier spectacle de son ultime tournée, c'est à Prague, deux jours plus tôt, que Bowie l'a donné. Un spectacle qu'il a été forcé d'écourter en raison d'un malaise qu'il croyait être un simple nerf coincé. Deux jours plus tard, en Allemagne, on allait l'opérer d'urgence pour une artère bloquée.

En cette veille de la Saint-Jean, à Prague, le producteur québécois Serge Grimaux était sur le côté de la scène en compagnie du directeur de tournée de Bowie. Installé dans la capitale tchèque depuis 1992, Grimaux y avait attiré les plus grands noms du rock, des Stones et Pink Floyd à U2 en passant par Bruce Springsteen et Michael Jackson. Il avait déjà produit des spectacles de Bowie à Prague en 1996 et 1997 et avait pu échanger avec le caméléon du rock que lui avait présenté le rockeur tchèque Ivan Král, un ancien du Patti Smith Group.

Grimaux, qui a lancé la billetterie Ticketpro et qui dirige aujourd'hui Intellitix, était un fan de longue date de Bowie qu'il avait vu au Forum de Montréal en février 1976 et dont il avait été le directeur de production de l'escale montréalaise de son Glass Spider Tour au Stade olympique, le 30 août 1987.

Bowie se plaisait à Prague qui lui rappelait peut-être le Berlin où il avait vécu dans les années 70, estime Grimaux. Mais en ce 23 juin 2004, l'artiste n'était vraiment pas en forme.

«Il a commencé le spectacle avec Life On Mars puis il fait quelques chansons et on voyait que ça n'allait pas super, se souvient Grimaux. Bowie avait du style mais là ça ne se passait pas vraiment. Il regardait souvent sur le côté de la scène et, vers la neuvième ou dixième chanson, il a dit à son directeur de tournée qu'il aimerait avoir un tabouret. Imaginez Bowie qui chante Station To Station assis sur un tabouret! Ça n'avait pas de sens. Il a enchaîné avec The Man Who Sold the World, une grande chanson reprise par Nirvana, mais c'était difficile. Quand son guitariste s'est lancé dans Ziggy Stardust, un des dix meilleurs riffs au monde, à la fin de la deuxième mesure, Bowie dit à son band «stop it». Il s'est retourné vers le public et a dit: «Désolé Prague, je souffre trop, je dois partir. Merci beaucoup.» Puis il a déposé son micro sur le tabouret.»

Un peu comme de nombreux fans qui, la semaine dernière, ne savaient pas s'ils devaient croire à la mort de David Bowie, le public praguois était médusé.

«Ils voyaient un artiste qui ne semblait pas être à son mieux mais, connaissant le personnage, ils se demandaient si ça faisait partie de son rock théâtral, raconte Grimaux. Tout était possible avec ce gars-là. Les gens étaient très respectueux mais ils ne bougeaient pas et ils applaudissaient.»

A fallu que Grimaux monte sur scène et confirme aux spectateurs que Bowie ne se sentait pas bien et que le spectacle était terminé.

Bowie, lui, est resté quelques heures à l'arrière-scène avec un médecin avant de quitter l'aréna en ambulance. Deux jours plus tard, à la fin de sa prestation plus courte au festival Hurricane, il s'est effondré à l'arrière-scène et un hélico l'a transporté d'urgence à l'hôpital où on lui a fait subir une angioplastie.

«Il a dû penser qu'il pouvait le faire mais c'était héroïque parce qu'il souffrait big time, reprend Grimaux. Ça te donne une idée de son professionnalisme.»