La voix rauque et le piano tellurique de Nina Simone hantent toujours les ondes, pourtant la diva américaine du jazz est morte inconsolée le 21 avril 2003 en France, privée à jamais de son rêve de petite fille: devenir la première concertiste classique noire.

Grande prêtresse de la musique soul pour ses fans, chantre de la cause noire aux États-Unis ou réincarnation autoproclamée d'une reine d'Égypte - elle en a le port et la moue souveraine -, Nina tient aux titres de «docteur» décernés par l'Université du Massachusetts à Amherst et le College Malcolm X à Chicago.

Mais elle a passé sa vie à en attendre un autre. À l'avant-veille de sa mort, elle reçoit un diplôme honorifique du Curtis Institute de Philadelphie, le conservatoire qui lui refusa l'admission en 1950. Par racisme, sera-t-elle persuadée tout en se demandant toujours si elle a bien joué son Chopin.

Eunice Kathleen Waymon - son vrai nom - née à Tryon (Caroline du Nord) le 21 février 1933, sixième des huit enfants d'une famille appauvrie par la crise de 1929, joue dès cinq ans dans l'église méthodiste de sa mère. Grâce à une collecte, elle intègre la Juilliard School à New York pour préparer le Curtis Institute. L'échec la brise.

«Je ne l'ai jamais digéré», dira-t-elle trente ans après, «même si je suis maintenant plus célèbre que le Curtis Institute».

Elle joue alors dans un bar d'Atlantic City, le patron exige qu'elle chante aussi. Pour prévenir l'ire de sa mère, elle choisit de s'appeler «Nina», d'après le surnom donné par un petit ami, et «Simone» par admiration pour l'actrice française Simone Signoret. La célébrité vient en 1959 avec I love you Porgy, tiré de l'opéra Porgy and Bess.

«J'ai été obligée de faire du showbiz pour gagner ma vie et obligée de chanter pour garder mon travail», racontera-t-elle. «Et je suis toujours en colère et amère à cause de ça».

«Bête de somme»

Sa musique puise dans le gospel, le blues, le folk. Elle rejette l'étiquette trop «blanche» de jazz - «Je joue de la musique classique noire» - et préfère être comparée à Maria Callas qu'à Billie Holiday. Exigeante, excentrique, elle ensorcèle son public, le lasse parfois.

Dans les années 1960, elle fait corps avec la lutte des Noirs américains. Elle écrit des chansons révoltées (Mississipi Goddam, Old Jim Crow, To Be Young, Gifted and Black qui devient un hymne du mouvement noir), marche avec Martin Luther King malgré des désaccords sur la non-violence. Elle sera invitée au 80e anniversaire de Nelson Mandela en 1998.

Ses atours flamboyants et ses lourds bijoux cachent mal ses fragilités. «J'aurais aimé que Dieu me prévienne qu'il fallait que je me sacrifie en tant que femme pour la musique».

Deux fois mariée, toujours volée par ses maris et agents, elle intitule le dernier de sa quarantaine d'albums officiels A Single Woman (1993). Elle a une fille, Lisa Celeste, aujourd'hui chanteuse sous le nom de Simone, avec Andy Stroud, ex-policier qui sera son gérant: «Il me traitait comme une bête de somme».

Après 1970, elle délaisse les États-Unis, vit au gré de ses amours: La Barbade, le Liberia, la Suisse, Londres, Paris, les Pays-Bas, le sud de la France enfin, en 1992. Le fisc américain la pourchasse, le succès l'oublie.

En 1987, un clip publicitaire relance My Baby Just Cares For Me (1958). La gloire revient mais le pactole lui échappe: trente ans avant, inexpérimentée, elle en avait cédé les droits pour une poignée de dollars.

Malade, affaiblie par l'alcool, elle s'isole. En 1995, elle écope de huit mois de prison avec sursis pour avoir blessé un voisin adolescent avec un pistolet à grenaille parce qu'il «faisait du bruit».

«Ne me quitte pas», la chanson de Jacques Brel dont elle a livré une interprétation déchirante, accompagne ses obsèques dans la station balnéaire de Carry-le-Rouet. Ses cendres sont dispersées dans plusieurs pays d'Afrique.