Marie Demers l'avoue tout de go: c'est sa première entrevue à vie. La jeune femme rousse aux yeux verts translucides, qui étudie au doctorat en littérature à l'Université de Montréal - son sujet: la littérature pour jeunes adultes - vient de lancer un premier roman, In Between. Elle nous a parlé de son livre, bouillonnant récit d'apprentissage, et de ce qui l'anime comme auteure. Et nous avons demandé à sa célèbre maman, Dominique Demers, de nous donner son avis... pas du tout objectif.

Le roman

Ariane, la jeune vingtaine, a perdu pied depuis la mort de son père. Elle parcourt le monde à la recherche d'elle-même, boit trop, mange peu et fait toutes sortes d'expériences extrêmes. Le récit d'In Between alterne ainsi entre fuites en avant et retours en arrière. «Je voulais faire un livre sur cette période de la vie où on n'est pas tout à fait fini, où ça se dessine encore. Alors qu'on nous dit que c'est essentiel de faire des choix, souvent depuis le secondaire. Mais ce n'est pas vrai. On a le droit de ne pas savoir, de se chercher», dit l'auteure, qui a voulu «matérialiser» un inconfort et «plonger dans l'entre-deux». Grande voyageuse, Marie Demers avait aussi envie de parler de ses expériences. «Comment c'est d'être amoureux, de travailler, de vivre, d'être confronté à des traumatismes quand on est ailleurs. Les voyages aussi, ce sont des périodes temporaires.»

L'auteure

Marie Demers était en voyage en Asie lorsqu'elle a appris la nouvelle de la mort de son père, il y a huit ans. Elle avait 21 ans. «Je me disais: ça ne se peut pas, ça devrait se passer dans un roman, une histoire comme ça.» C'est ce qui a été le point de départ d'In Between, un premier roman qu'elle a mijoté pendant plusieurs années, et qui est en fait le résultat de son mémoire de maîtrise en création littéraire. 

«Ça m'a pris du temps à comprendre que je devais écrire, faire ça de ma vie. Même si j'ai fait des livres pour la jeunesse, il fallait que j'écrive un roman pour adultes pour accepter le fait d'être écrivain.»

Elle avoue aussi qu'elle n'avait pas nécessairement envie de pratiquer le même métier que sa mère, Dominique Demers, auteure qui fait partie du paysage littéraire québécois depuis le début des années 90. «Mais ce n'était pas une assez bonne raison pour refouler mon seul talent!»

L'écriture

In Between est écrit dans un langage très contemporain, qui voyage entre le français, l'anglais et l'espagnol. «C'est ma manière d'écrire naturellement, et c'est vrai que j'ai une facilité avec les dialogues», explique Marie Demers, qui admet avoir davantage travaillé sur l'alternance des points de vue: si le livre est écrit au je, un narrateur prend parfois le relais pour donner une vue d'ensemble à l'action. Son objectif était d'écrire un roman populaire - dans le sens noble du terme - et accessible, sans être trop facile - «Il y a un défi dans la structure, quand même.» Elle voulait surtout que sa génération s'y reconnaisse. «C'est pour ça qu'on écrit, non? Je ne suis pas du genre à dire que je fais seulement de l'art pour l'art, que ce que j'écris est comme mon journal intime. Je veux être lue.»

Les projets

La jeune femme planche déjà sur un deuxième roman, qu'elle espère soumettre à son éditeur d'ici la fin de l'année. «Je l'ai écrit en voyage, en Colombie et à Cuba.» On y retrouvera encore les questionnements et l'énergie d'In Between - «Je suis encore moi-même jeune adulte, c'est normal, j'ai envie d'épuiser le sujet» -, mais elle compte ensuite mettre un terme à ce cycle. «J'ai beaucoup d'admiration pour quelqu'un comme John Irving, qui, même après 15 romans, réussit à se renouveler. À moi seul bien des personnages est le livre qui m'a le plus touchée ces dernières années.» Pour l'instant cependant, son plus gros projet reste sa thèse de doctorat, question de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier d'un métier «épeurant quand on sait qu'il ne fait pas vivre». «Je ne veux pas rester serveuse-écrivain...»

La fille de sa mère

On ne peut s'empêcher de remarquer la relation conflictuelle entre la fille et sa mère en lisant In Between... et de penser à la mère de Marie, l'auteure Dominique Demers. On pose la question à Marie Demers, en se doutant que cela l'agacera un peu. 

«C'est de la littérature, j'ai transposé des choses, d'autres sont romancées... Mais une relation mère-fille, ce n'est jamais facile, non?»

Marie Demers est très consciente qu'on risque de lui parler souvent de sa célèbre maman, même si elle précise qu'elle n'a pas choisi d'où elle sort. Mais avoir une mère auteure est aussi un avantage. «Je ne lui fais pas lire mes manuscrits en lui demandant de commenter, ça me gosserait... Elle me donne des conseils davantage sur le métier, elle me dit de m'inscrire à l'UNEQ, m'aide à me préparer pour mes entrevues, me remet les pendules à l'heure sur le milieu.»

L'avis de la maman

«Je trouve que dès la première page du livre, son talent crève les yeux. Mais je suis sa mère...», nous dira plusieurs fois pendant un court entretien téléphonique Dominique Demers, qui avoue avoir les yeux pleins d'eau rien que d'en parler. «C'est vrai que je suis fière, mais ce serait probablement moins émouvant si je n'étais pas écrivaine. Parce que pour moi, c'est le plus beau métier du monde, il m'a sauvé la vie. Mais je suis surtout contente que Marie ait trouvé sa place dans l'univers. Elle était faite pour écrire, je le savais depuis longtemps», dit Dominique Demers, qui estime que sa fille a plus de talent qu'elle.

Lire In Between est douloureux pour Dominique Demers, surtout parce qu'il lui rappelle cruellement la mort tragique du père de ses enfants, avec qui elle a partagé sa vie pendant 25 ans. Mais elle ne se reconnaît pas dans le personnage de la mère représenté dans le livre. «Ce serait invivable et je ne lui aurais pas donné mon absolution. Je reconnais des tensions, par contre. Marie et moi sommes deux personnalités très fortes qui partageons une même passion, mais nous sommes aussi très différentes. C'est pour ça qu'elle se fera un prénom.» 

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In Between, Marie Demers, Hurtubise, 225 pages.