Dans l'entrée de son appartement situé dans le 7arrondissement de Paris où Maryse Wolinski nous reçoit, il y a deux boîtes fraîchement ouvertes contenant la nouvelle édition du Candide de Voltaire illustré par Georges, son mari. Elle suit de près ses oeuvres, dont elle détient les droits. En même temps paraît une réédition de Lettre ouverte à ma femme, texte rigolo publié en 1978, où il lui expliquait sa jeunesse, et combien il n'était pas facile pour un macho de vivre avec une femme engagée dans la révolution féministe.

Pour Maryse Wolinski, comme pour son mari, leur couple était une source d'inspiration. Le dessinateur, impénitent amoureux de la gent féminine, auteur de Je ne pense qu'à ça ou J'étais un sale phallocrate, aimait dessiner sa femme. De son côté, elle a écrit Lettre ouverte aux hommes qui n'ont toujours rien compris des femmes, Chambre à part ou Georges, si tu savais...

«Nous étions des partenaires contraires, dit-elle. On ne partageait pas les mêmes idées, mais nous avions les mêmes valeurs. C'est sans doute pour cela que nous avons tenu aussi longtemps.»

«En fait, pour moi, le couple, c'est comme une cathédrale qu'on construit, pierre après pierre. On essaie d'arriver à quelque chose de parfait. Seulement, voilà, c'est fracassé.»

Le 7 janvier, jour de l'attentat contre Charlie Hebdo, Maryse raconte dans son livre qu'ils avaient rendez-vous le soir même pour visiter un appartement. Petit matin pressé pour tous les deux. Elle n'a pas eu le temps de l'embrasser. «Il n'était pas bien, il était très sombre, se souvient-elle. Je pensais que c'était parce que le journal allait arrêter, ce qui représentait 50 ans de sa vie avec Hara-Kiri. Je me culpabilise, d'ailleurs, parce que je me dis que si ç'avait été à cause des menaces, je lui aurais dit de ne pas aller à Charlie Hebdo. Je n'ai pas compris. Il a dit à une personne qui habitait en bas de chez moi qu'il n'avait plus envie d'y aller, que c'était de la provoc et que ça allait mal finir. Et le lendemain, il y est pourtant allé, en me disant "Chérie, je vais à Charlie". Après, plus rien.»

En fait, elle apprendra le drame à bord d'un taxi. Et la confirmation de la mort de son mari par son gendre. Elle déplore qu'un commandant de police ne soit pas responsable d'annoncer la nouvelle aux familles. «J'ai entendu plusieurs parents se plaindre le 13 novembre dernier qu'ils aient passé la nuit à chercher leurs enfants qui étaient d'ailleurs à la morgue. Une fois de plus, il n'y a pas eu de parole officielle. C'est pour ça que j'étais dans le déni. Je me disais: pourquoi c'est mon gendre qui m'apprend cette triste nouvelle? Et ce déni me poursuit.»

Comment continuer?

Maryse Wolinski a déménagé il y a seulement une semaine dans ce nouvel appartement. Les toiles de Georges, empilées, ne sont pas encore installées aux murs. Mais il y a quelques Post-it griffonnés par lui. Il lui écrivait toujours de petits mots d'amour.

«J'ai vécu jusqu'à il y a 10 jours comme si Georges était parti en voyage, confie-t-elle. Je n'avais touché à rien, je refaisais ses piles. Et là, il a fallu se séparer. Une seconde fois. Comme une rupture.»

Comment envisage-t-elle sa vie sans lui? «Je ne l'envisage pas. Je me dis que c'est impossible. Ce n'est pas possible que je sois seule. Ça me paraît tellement invraisemblable, je n'ai jamais été seule. J'avais 21 ans quand je suis sortie de chez mes parents pour aller vivre avec mon mari. Je me dis que c'est un cauchemar.»

C'est qu'ils faisaient tout à deux, même que leurs enfants leur reprochaient cette relation fusionnelle parfois. «Il me disait: tu es mon seul ami.»

Elle refuse d'entretenir la haine, ne voulant pas jouer le jeu des djihadistes - «parce que c'est ça qu'ils veulent, nous transformer, qu'on soit dans la terreur» - mais elle est tout de même en colère contre l'inaction de l'État et des services de sécurité. Selon elle, l'équipe de Charlie Hebdo n'était pas protégée.

«Comment se fait-il qu'un tel carnage ait pu avoir lieu dans les locaux d'un journal satirique qui était considéré comme un site sensible?»

«D'une part, ils n'étaient pas protégés par les services du ministère de l'Intérieur, alors que tout le monde savait qu'un attentat allait avoir lieu. On a enlevé fin novembre la fourgonnette de police qui était devant, avec des barrières. Une fenêtre de tir extraordinaire. D'autre part, à Charlie Hebdo, ils n'avaient pas fait les travaux de sécurité qu'on leur avait demandé de faire.

«L'État n'a même pas tenu compte de ce qui s'est passé le 7 janvier, ils n'ont pas retenu la leçon, puisque le Bataclan était menacé aussi, ajoute-t-elle. Comme Charlie Hebdo. Au mois d'août, on a arrêté un djihadiste qui avait avoué planifier un attentat dans une salle de concert. On pouvait imaginer qu'il n'allait pas aller à la Philharmonie de Paris. Il faudrait être un peu plus rusé que ça.»

Le 7 janvier, un an jour pour jour après l'attentat, Maryse Wolinski enfilera les entrevues du matin au soir, pour «défendre son livre, parler de Georges et faire face». «Je crois que je m'en tire bien, mais, enfin, je suis très seule.»

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«Chérie, je vais à Charlie». Maryse Wolinski. Seuil, 144 pages. En librairie le 7 janvier.