Qui dit mieux: 17 romans en 11 ans? Eh bien, il y a mieux. Au-delà de la quantité, le Français Maxime Chattam fait dans la qualité avec son nouveau thriller La conjuration primitive. Parce qu'il renoue de façon originale avec le thème du serial killer, qui lui avait valu le succès en 2002? Oui, mais aussi parce que l'intrigue se déroule en France. Et au Québec!

Aaaah! Difficile de parler de La conjuration primitive de Maxime Chattam sans révéler l'intrigue, son efficacité, son caractère terriblement plausible et ses quelques coups de théâtre magistraux entre Paris, Cracovie et le village fictif de Val-Segond, en qui tout bon Québécois reconnaîtra... la ville de Fermont et son fameux édifice en forme de «mur-écran» de 1,3 km de long!

Alors, que dire sans trahir? Qu'on se méfie à vie des glapissements d'un renard, une fois le livre refermé? Qu'on se met à douter sérieusement des sociétés de sécurité privées et d'installation de systèmes d'alarme? Qu'on réalise que la routine et l'absence de dialogue dans une famille peuvent avoir des conséquences atroces? Que lire La conjuration primitive pendant que sont délivrées les trois femmes séquestrées et violées par Ariel Castro pendant 10 ans ne fait vraiment rien pour nous convaincre que «c'est juste un livre»?

Après un détour par la théorie du complot et le fantastique (notamment la série Autre-Monde, dont l'avant-dernier tome, le 6e, devrait paraître avant Noël), l'auteur de 37 ans revient à ses premières amours, le tueur en série.

Sa Trilogie du mal (L'âme du mal, In Tenebris et Maléfices, parus entre 2002 et 2004) se déroulait aux États-Unis, que connaît bien Chattam: il a passé tous ses étés d'adolescent en Oregon. Seulement voilà, Chattam est avant tout français, et il y a quelque chose d'indéniablement plus senti quand son histoire d'horreur se déroule en grande partie en France, et que l'enquête est menée, non pas par des inspecteurs-détectives, mais bien par des gendarmes!

Afin de ne rien dévoiler de cette histoire où des tueurs sanguinaires de toute l'Europe semblent liés par le mystérieux symbole «*e», parlons, tiens, de l'un des personnages principaux: Alexis Timée, jeune gendarme doué, chargé d'élucider l'épidémie de meurtres sanglants et grand fan... de l'excellente équipe de football des Giants de New York!

Comme Chattam l'est: «Mais aussi des Alouettes de Montréal, tout de même, précise-t-il avec un sourire dans la voix. Je me disais depuis longtemps que j'écrirais un jour un livre policier dont le héros serait fan des Giants comme moi. Il y a un autre clin d'oeil: Alexis Timée fait partie de la Section de recherches (SR) de la gendarmerie de Paris. Cette Section existe vraiment en France. Or, un de mes amis y travaille, Ollivier, qui m'a beaucoup aidé dans mes recherches pour le livre. Il se trouve qu'Ollivier est aussi fan de football américain... mais d'une équipe adverse, les Eagles de Philadelphie [NDLR: la rivalité entre Eagles et Giants remonte à 1933! ]. J'ai donc fait un clin d'oeil à Ollivier, mais en lui imaginant une passion pour les Giants!»

Si La conjuration primitive est si efficace, c'est parce que les Giants et la SR de la gendarmerie de Paris existent vraiment, parce que les références historiques sont toutes vérifiables, que les lieux décrits sont bel et bien réels (hormis le Val-Segond québécois ainsi qu'un lieu-dit français, rebaptisé Pestilence dans le thriller), sans oublier que, oui, les psychopathes - et les enfants martyrisés - existent, eux aussi. Horreur, tout a l'air possible...

«Je suis très heureux de vous avoir traumatisée, lance Maxime Chattam en riant. Et attendez de voir la suite, c'est encore pire [sortie prévue en mai 2014]! Je renoue avec l'univers des serial killers parce que j'ai réalisé qu'il y avait quelque chose de nouveau à faire avec le personnage du tueur en série. Non pour ce qu'il est, lui, individuellement, mais pour ce qu'il représente dans la société: prenons la violence dans son ensemble et essayons de la décortiquer, au prisme de ce que sont les tueurs en série! C'est donc un portrait de la société du XXIe siècle, un portrait pas très reluisant dans le sens où tous les éléments de confort, selon nos critères modernes - par exemple les dispositifs de sécurité, la musique, etc. -, peuvent se retourner contre nous. C'est une idée que j'explore encore plus dans le prochain.»

Contre les ténèbres

Les amateurs de Chattam seront un brin réconfortés par les références qui parsèment ce 17e roman: Alexis Timée est sans doute un descendant de Guy de Timée, qui figurait dans Le diptyque du temps; Joshua Brolin, héros de la Trilogie du mal, a un rôle à jouer dans La conjuration...

L'auteur écrit toujours entre six et dix heures par jour, mais désormais, c'est à raison de cinq jours par semaine, et non sept. «Au fil des années, j'ai appris à identifier ma part d'ombre et quand j'y descends chercher de la matière pour écrire, je suis un peu comme un spéléologue, je suis préparé, équipé, paré, j'ai ma lumière, mes piles de rechange, ma lampe de secours au cas où! Quand je descends au plus noir et que je remonte à la surface pour m'en servir afin d'écrire des histoires, je la dissèque, dans tous les sens, ça me permet de ne pas me laisser envahir. Après, malgré tout, à ce point-là dans les ténèbres, il faut une compensation. Et moi, pour compenser, j'ai ma vie avec ma femme [NDLR: il est marié à la présentatrice télé Faustine Bollaert depuis août 2012 et attend un bébé pour août prochain], une vie très équilibrée et très ensoleillée, grâce à elle. Au moment où j'ai écrit ce livre, j'étais en train de fonder ma famille. Alors, forcément, ce n'est pas un hasard si la notion de famille est prédominante pour mes héros - et une notion salvatrice pour lutter contre les ténèbres.»

Car ténèbres il y a. Maxime Chattam a-t-il l'impression que la violence gagne de l'empire en notre ère? «J'espère que ce n'est pas pire qu'avant. Et je ne le pense pas, d'ailleurs. En revanche, est-ce que tout ne s'organise pas mieux qu'avant, y compris le crime et le mal? C'est l'une des questions que pose le livre.»

Extrait La conjuration primitive



«Ils se rapprochaient progressivement du lieu où tout s'était joué pour deux êtres humains. Deux femmes dont l'existence s'était terminée là. Deux petites filles qui avaient grandi pleines d'illusions, deux adolescentes qui s'étaient frottées à la réalité, deux jeunes femmes qui avaient vécu, entre pleurs et rires, qui s'étaient construites, entre espoirs et déceptions, qui jour après jour, souvenir après souvenir, avaient amassé de la vie. [...] Deux femmes qui n'avaient jamais imaginé, même dans leurs pires cauchemars, finir de cette manière, une nuit comme les autres, sans qu'aucun signe distinctif ne les y ait préparées. Un couperet sans appel, définitif, qui avait tout interdit, banni tout futur. Une guillotine impérative, sans autre conjugaison que le présent de l'insupportable. L'esprit du tueur flottait encore entre ces murs.»

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La conjuration primitive. Maxime Chattam. Albin Michel, 480 pages.