Le prolifique maître du polar italien, Andrea Camilleri, a accepté de répondre à quelques questions, malgré son horaire toujours aussi chargé, à 87 ans.

En 1982, âgé de 57 ans, Andrea Camilleri, jusque-là metteur en scène et enseignant en art dramatique, se lance dans une seconde carrière: écrivain. Puis écrivain de polars. Et même écrivain de polars bestsellers, vendus à des millions d'exemplaires! Dès 1994, son personnage de Salvo Montalbano, commissaire de police dans la petite ville sicilienne fictive de Vigàta, connait en effet un succès foudroyant, d'abord en Italie, puis en France, en Angleterre, en Allemagne... et au Québec.

La 18e enquête de Montalbano, L'âge du doute, vient de paraître en français chez Fleuve noir, bien que publiée en italien en 2008. Cette enquête compte notamment des clins d'oeil au roman Les Pitard de George Simenon (un passeport au nom d'Émile Lannec, une épouse qui règne sur un bateau...): c'est particulièrement suave quand on sait que Camilleri a adapté les enquêtes de l'inspecteur Maigret pour la télévision italienne, quand il était metteur en scène. Prolifique, Camilleri ? Depuis 2008, il a déjà publié en Italie neuf autres enquêtes du commissaire, qui attendent d'être traduites.

Q : Dès la première enquête du commissaire Montalbano (La forme de l'eau en 1994 en italien, en 2000 en français), la mafia, qu'on associe beaucoup à la Sicile, a relativement peu d'importance dans le quotidien du commissariat de Vigàta. Aviez-vous dès le départ cette volonté?

R : Oui, dès le début, je me suis fixé deux objectifs: je voulais que ce roman, bien que campé en Sicile, ne tourne pas complètement autour de la mafia et éviter d'en parler trop. À trop traiter la mafia de façon romanesque, on finit presque toujours par créer des personnages plutôt sympathiques aux yeux du public, et cela ne me semble pas une bonne idée.

Q : Les femmes sont importantes pour Montalbano, même s'il ne semble pas être capable de vivre avec elles. C'est encore plus vrai dans L'âge du doute, où sa fiancée de toujours est quasi absente et où la possibilité d'une autre relation amoureuse est extrêmement douloureuse, pourquoi?

R Le titre du livre signifie justement cela : la complexité de la situation provoque de grands doutes chez mon personnage; a-t-il le droit de s'offrir une seconde chance? En fin de compte, c'est le contexte qui en décide. Les personnages de romans se comportent comme des êtres humains, pas comme des lignes droites, ils sont habités par le doute, l'anxiété...

Q : Dans L'âge du doute, les collaborateurs habituels de Montalbano - l'inspecteur Fazio, l'adjoint Augello, le délirant officier Catarella... - sont beaucoup moins présents que dans les précédentes enquêtes. Montalbano est plus solitaire, obsédé par le fait de vieillir, alors qu'il atteint l'âge de 58 ans, l'âge que vous aviez quand vous avez entrepris une seconde carrière. Pourquoi?

R : Parce que malheureusement, on vieillit! Mon personnage de Salvo croît et évolue au fil des ans dans les romans qui racontent son histoire. Je crois qu'il y a, dans le cours de la vie d'un homme, un moment où on se sent exactement comme Montalbano.

Q : Une petite question facultative, en terminant: vous avez mené deux carrières réussies, comme metteur en scène et comme auteur. Envisagez-vous une troisième carrière?

R L Je crois qu'à 87 ans, je me suis déjà assez lancé comme ça!