Il n'avait encore rien publié et voilà que le nom du scénariste Ami Vaillancourt apparaît sur deux albums mis en marché presque simultanément: Charlebois & l'Osstidgang et Kissinger et nous. Une entrée d'autant plus remarquée que ces deux bédés réalisées avec le dessinateur Bruno Rouyère racontent deux révolutions qui ont secoué deux extrémités de l'Amérique: l'éveil contre-culturel du Québec de son père et le coup d'État qui a hissé Pinochet à la tête du Chili et poussé sa mère à l'exil. Tout ça grâce aux... Schtroumpfs.

Peyo n'était pas un auteur naïf. Son village de petits bonhommes bleus lui permettait d'aborder des sujets aussi sérieux que la dualité linguistique de la Belgique et les abus de pouvoir. Le scénariste Ami Vaillancourt n'a pas saisi cette dimension de l'oeuvre du maître belge lorsque son papa l'y a initié quand il avait 6 ans. Ce qu'il a compris, toutefois, c'est qu'il voulait devenir bédéiste, lui aussi.

Élève «médiocre», l'auteur né à Montréal d'un père québécois et d'une mère chilienne n'en était pas moins curieux. Alors, il a lu. Beaucoup. Il se remémore avec un plaisir évident ces longues heures passées à dévorer les rayons de la bibliothèque d'Outremont, à trois coins de rue de chez lui. «Mon père m'y laissait tous les mercredis après l'école et je rentrais à la fermeture, à 21h», précise-t-il.

Page après page, il s'est forgé une culture. Le créateur autodidacte a même fait ses propres découpages du premier album de La caste des Méta-Barons et de l'imposant 120, rue de la gare de Tardi pour comprendre ce qu'était un scénario. «Je sais construire une bédé», dit-il aujourd'hui avec assurance.

Ses deux albums réalisés avec le dessinateur Bruno Rouyère montrent de fait qu'il sait échafauder des histoires rythmées et fluides malgré une narration à plusieurs niveaux. Il est aussi amusant de constater que, 30 ans après avoir découvert Peyo, il est, lui aussi, un auteur préoccupé par la vie en société et les forces qui propulsent ou écrasent les peuples.

Révolution culturelle

Charlebois & l'Osstigang, placé sous le surtitre les «histoires fabulées», est d'abord une fantaisie construite autour des quatre figures principales de l'Osstidcho: Louise Forestier, Mouffe, Yvon Deschamps et, bien entendu, Robert Charlebois, qu'Ami Vaillancourt a rassemblés à la campagne en 1960, année où le futur Garou a écrit La boulée. Ce qu'il met en scène, c'est l'éveil et les convictions de ces jeunes gens qui allaient bouleverser leur culture.

«Je voulais m'attarder à ce qu'ils ont représenté, pas à ce qu'ils sont, insiste le scénariste. Je voulais aussi garder intacte l'impression laissée par leurs oeuvres.» L'aventure est délicieusement truffée de clins d'oeil aux créations de l'un ou l'autre. Détail délirant: la voisine de Charlebois à la campagne est nulle autre que Bérénice Einberg, héroïne de L'avalée des avalés de Réjean Ducharme, écrivain fantôme qui a signé quelques textes pour Charlebois.

Révolution tout court

Kissinger et nous, roman graphique de 200 pages habité par le trait noir, parfois gras, de Bruno Rouyère n'a pas la même légèreté. Il raconte les derniers jours du gouvernement de Salvador Allende, mis K.O. en septembre 1973 par un coup d'État soutenu par les États-Unis.

Ce lointain conflit est proche de lui: sa mère militante a dû fuir le Chili pour éviter la répression. «J'ai rencontré à travers elle toutes sortes de Chiliens qui ont vécu différentes expériences, dont la torture», raconte le scénariste. L'admiration qu'il a pour sa mère s'étend aussi aux autres femmes qui ont milité pour un Chili socialiste et ont fini traquées par la junte militaire.

Elles se trouvent d'ailleurs au coeur de ce récit centré sur quatre amies qui cherchent à tirer leur épingle du jeu dans le climat d'incrédulité, de peur et de manipulation qui a marqué les derniers jours au pouvoir du président Allende. Page après page, le scénariste et le dessinateur Bruno Rouyère rendent avec brio la fébrilité qui devait régner à l'époque. «Il est adressé aux femmes ce livre-là, c'est pour elles qu'il a été écrit», affirme Ami Vaillancourt, qui a volontairement repoussé les hommes dans les marges de son récit.

Kissinger et nous raconte aussi une époque où, selon l'auteur, les politiciens étaient des gens de conviction. «Ça n'existe plus aujourd'hui, se désole-t-il. Personne n'est prêt à perdre son confort pour des idées.» Désabusé? Il en convient. Indifférent? Pas du tout. D'où ce livre, né de son indignation.

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Kissinger et nous. Ami Vaillancourt et Bruno Rouyère. Glénat Québec. En librairie.

Charlebois et l'osstidgang. Ami Vaillancourt et Bruno Rouyère. Glénat Québec. En librairie le 29 mars.