La curiosité est au centre du déterminisme humain. L'homme qui cherche à apprendre, à comprendre, s'ouvre la voie d'une pensée autonome. Mais dans son dernier livre De la curiosité, l'écrivain Alberto Manguel regrette de devoir constater que les systèmes éducatifs actuels ont tendance à se désintéresser de la capacité des jeunes à réfléchir, à s'interroger, voire à douter, privilégiant l'enseignement de «l'efficacité matérielle» et du profit financier. Au lieu finalement d'apprendre à demander «Pourquoi?».

Dans cet essai, les réflexions de Manguel sont centrées autour d'une exégèse de l'oeuvre de Dante, la Divine comédie, à des fins d'exploration des contours de l'âme humaine. C'est donc à partir de l'étude des différents Chants de Dante que l'on pénètre dans cette aventure sur les terres du langage et de notre capacité à transmettre et à découvrir.

Le livre est une longue suite de références à des auteurs, des penseurs et des philosophes dont la curiosité a guidé les pas et la main. Saint Augustin, David Hume, Thomas d'Aquin, Homère, Montaigne, Socrate ou Lewis Carroll fournissent à Alberto Manguel la matière nécessaire pour évoquer la fascination de l'homme pour la connaissance, son «désir naturel de savoir», sa soif d'écrire l'histoire autant que d'en raconter et cette curiosité qui peut parfois changer le cours du temps. Même si la connaissance ne garantit pas la clairvoyance. «L'illusion est la seule réalité», dit-il.

Après avoir évoqué l'origine de l'écriture, l'art de la lecture et l'importance de la communication, le livre voit son intérêt s'amplifier quand l'érudition croise le dogme, quand la logique grecque défie l'absolutisme de la religion.

Mais Manguel ne prend pas parti entre raison et croyance. Il multiplie plutôt les exemples sur le sens que donne la culture à notre existence personnelle en les illustrant de détails de sa vie, notamment de souvenirs de son enfance.

Le livre est parfois intense à parcourir, mais permet de prendre conscience de la chance qui nous a été donnée de lire. Avec ses remèdes contre l'ennui et ses vitamines de la liberté, nos bibliothèques sont autant de cliniques de l'âme.

«Jusque dans les moments les plus importants du voyage de notre vie, quand le salut même de notre âme est en question, l'art sera toujours essentiel, écrit Alberto Manguel. Même à Auschwitz, où rien ne semblait plus avoir d'importance ou de sens, la poésie pouvait encore ranimer chez des détenus tels que [Primo] Levi ce qui restait de vie, apporter l'intuition de ‟quelque chose de gigantesque", allumer dans les cendres une étincelle de l'ancienne curiosité, et la faire éclater une fois encore en flammes éternelles.»

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De la curiosité. Alberto Manguel. Actes Sud, 432 pages.