Écrire loin de chez soi et du quotidien rapproche l'écrivain de sa raison d'être, du coeur de la création. Des écrivains québécois s'exilent pour mieux se concentrer, d'autres viennent ici pour des raisons similaires. Ici ou ailleurs, ils redécouvrent le plaisir d'écrire. Portrait de cinq écrivains chercheurs de trésor.

Fabian Saul

Journaliste et romancier. 28 ans. Berlin, Allemagne. Résidence au Goethe Institut de Montréal de juillet à septembre 2015.

Avec le magazine allemand Flaneur, qu'il a cofondé, Fabian Saul est venu à Montréal en 2014. Il écrit son premier roman.

«J'avais besoin d'un catalyseur pour que cela devienne réalité. Montréal est cet élément déclencheur qui me ramène à la mémoire et me permet de réinventer le livre auquel je pense depuis des années.»

«Je marche beaucoup. Marcher, c'est lire la ville. Montréal m'a beaucoup aidé à développer une méthode de promenade intensive entrecoupée d'écriture. La structure de la ville offre à la fois un palimpseste européen et un urbanisme nord-américain parfaits pour ces moments d'écriture. La ville est un matériau comprenant des qualités mystérieuses, voire obscènes, qui peuvent être déchiffrées, fusionnées et retravaillées en quantité lors de chaque kilomètre parcouru.»

«Je viens à Montréal pour m'éloigner de ma langue paternelle et de mon pays paternel. On compare souvent Montréal à Berlin. On peut y vivre avec un esprit ouvert et libre. Montréal, c'est comme un terrain de jeux.»

Un endroit inspirant: «J'adore le salon de thé Le Cardinal sur Saint-Laurent, surtout quand il n'y a pas trop de monde.» Fabian Saula a aussi été inspiré par le Silo no, dans le Vieux-Port.

Fadir Delgado Acosta

Poète. 31 ans. Barranquilla, Colombie. Résidence à Montréal de mars à mai 2013.

La poète colombienne a participé au Festival de poésie de Trois-Rivières en 2010. Elle termine en ce moment son troisième recueil, inspiré de son séjour montréalais. 

«J'ai choisi de faire la résidence en hiver. C'était terrible, mais je voulais vivre ce choc qui, je le sentais, pouvait m'inspirer. Ma poésie est urbaine, personnelle. À Montréal, je sentais que rien ne se passait au début, tout était parfait, si tranquille. Mais tout peut devenir écriture. Le défi, c'était d'observer davantage, d'être à l'écoute. Cette nouvelle façon de voir le monde m'a inspiré une nouvelle esthétique. Cela m'a nourrie différemment. 

«Je n'ai pas écrit que sur Montréal. La neige est entrée dans mon imaginaire. Il y a un vers qui dit quelque chose de fort pour moi: "la neige ensanglante tout". Elle se transforme en quelque chose de sale, une sorte d'insecte ou d'animal dangereux.»

«La résidence appuie le processus créatif de manière générale et c'est quelque chose, je crois, qui va me servir durant toute ma carrière.»

Un endroit inspirant: «Le Vieux-Port en hiver est absolument magique. Voir le fleuve gelé au bord de l'eau m'a fascinée. Ça m'a inspirée», raconte Fadir Delgado, qui a beaucoup observé la ville et ses habitants, aussi dans le métro et sur le mont Royal.

PHOTO FOURNIE PAR L'ARTISTE

Fadir Delgado Acosta

João Reis

Romancier et traducteur. 30 ans. Porto, Portugal. Résidence à Montréal d'octobre à décembre 2015.

Traducteur d'auteurs scandinaves, João Reis est auteur de trois ouvrages, dont un roman, A Noiva do Traductor (La femme du traducteur). Sa résidence à Montréal s'est réalisée dans le cadre d'un échange avec la poète québécoise Louise Warren.

«Montréal ressemble à des villes que je connais et que j'aime en Scandinavie. Mon roman se passe dans un pays non spécifié. Un homme traduit de vieux livres dans les deux langues qui avaient cours dans ce pays auparavant. Montréal devait me servir puisque c'est une ville bilingue.» 

«La résidence a été fructueuse. Je n'ai pas fini le livre que j'ai commencé, mais j'ai travaillé sur de nouvelles idées, dont un roman qui se déroule à Montréal. C'est une histoire drôle, inspirée par la ville et écrite au "je", du point de vue d'un enfant de 10 ans. J'ai aimé Montréal en général, encore plus comme écrivain. C'est l'une des villes les plus inspirantes où j'ai vécu.» 

Un endroit inspirant: Le boulevard Saint-Laurent: «C'était près du studio que j'occupais pour la résidence. C'est l'une des avenues que j'ai le plus fréquentées. C'est d'une incroyable diversité et ça reste gravé dans la mémoire.» João Reis a aussi aimé le Café des chats, rue Saint-Denis, et le Vieux-Port où il a écrit une partie de son roman.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

João Reis

Éric Dupont

Romancier. 46 ans. Amqui, Québec. Résidence à Munich en 2010.

«En Bavière, c'était la meilleure des choses. Se retrouver devant une très longue plage de temps, où très peu de gens peuvent vous joindre, permet de produire et d'écrire. Je me sentais privilégié d'avoir cette résidence. Je suis rentré à Montréal en 2010 avec le tiers de La fiancée américaine. Je ne pouvais plus me défiler pour la suite des choses.»

«Pour la Fiancée, l'Allemagne était importante. J'avais des recherches à faire là-bas. Je me suis mis à écrire tout de suite des choses sur ma région natale. Comme si l'éloignement me donnait la permission d'écrire à ce sujet. En racontant l'histoire à des Allemands, je rendais mon histoire plus claire, et compréhensible pour le monde entier. C'est important parce que je suis un conteur.»

«Je me suis fait une résidence moi-même au Brésil l'an dernier. J'y ai passé trois mois en dehors des structures officielles. Ma vie a changé puisque mon conjoint est diplomate brésilien.»

Un endroit inspirant: L'opéra national de Bavière. «J'allais souvent à Munich le week-end. J'ai aimé les théâtres, opéras et salles de concert munichois.» Parmi ses autres visites inspirantes: Dachau ainsi que la villa Waldberta et ses jardins.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Dupont

Corinne Larochelle

Romancière. Québec, Québec. 43 ans. Une résidence en Belgique en 2012 et une deuxième au Portugal en 2013 pour son premier roman, Le parfum de Janis.

«En Belgique, c'était très encadré et ç'a été un pur bonheur. À Lisbonne, j'étais plus laissée à moi-même. C'était dépaysant, mais cette expérience de vie en solo a eu un effet bénéfique dans l'écriture. Le Portugal a laissé plus de traces dans le roman. Il y a du bon à être confrontée à soi-même et au voyage au sens fort du mot.» 

«Le paysage de Lisbonne a été nécessaire pour cette plongée dans l'intime. Je ne pense pas que je pouvais faire l'économie de la douleur pour l'écrire. Mais il y a aussi eu des moments de plaisir à retrouver certains souvenirs intacts.»

«L'inscription de la ville dans le projet n'est pas absolument nécessaire. Il y a des auteurs qui tombent dans ce piège. Faire une résidence lance le processus, et c'est stimulant en soi. Ça permet, entre autres, de rentabiliser un réseau. On arrive dans une ville avec son bagage qui n'a rien à voir avec celui qu'on porte à la main. Il faut être prêt à écrire.» 

Un endroit inspirant: «Mes endroits préférés et qui m'ont le plus inspirée à Lisbonne sont la place de Camoes, le belvédère de Santa Catarina et le café Flower Power.»

Guide de l'auteur voyageur

De bon conseil: Les conseils des arts - de Montréal, du Québec et du Canada - ont tous des programmes de résidences d'écrivains en collaboration avec des organismes locaux, comme l'Union des écrivains québécois (UNEQ), ou étrangers.

9488 $: Bourse moyenne accordée par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) aux 49 artistes et écrivains québécois pour séjourner de deux mois à un an dans 14 pays l'an dernier.

23: Nombre d'artistes et écrivains étrangers de 12 pays qui ont été accueillis en 2014-2015 en résidence au Québec.

11: Nombre d'écrivains étrangers accueillis par l'UNEQ en trois ans, en provenance de la Belgique, de Haïti, du Mexique, de la Colombie, du Portugal et de la Flandre (Belgique).

6: Le CAM offre six possibilités de résidence à Montréal (deux en bibliothèque, librairie, école, mobile et Poète de la cité).

5: Cinq villes choisies par les écrivains québécois pour une résidence en 2014-2015: Rome (Italie), Munich (Bavière), Lisbonne (Portugal), New York (États-Unis), Banff (Alberta).

3: Le CALQ a ajouté trois nouvelles destinations pour des résidences d'écrivains et d'artistes: Dresde, en Allemagne, Séoul, en Corée du Sud, et la France pour des artistes du Nunavik.

Une maison: Le projet de Maison des gens de lettres, piloté par l'écrivain Pierre Samson et appuyé par des dizaines d'auteurs, servirait à la fois de logement, d'espace de diffusion et de résidence de création pour écrivains. Le groupe est en recherche d'un lieu et de fonds.

PHOTO FOURNIE PAR L'ARTISTE

Corinne Larochelle