Étoile brillante et fugace de la littérature québécoise, Gaétan Soucy est mort mardi d'une crise cardiaque, ont annoncé mercredi les éditions du Boréal. L'auteur de La petite fille qui aimait trop les allumettes n'avait que 54 ans.

Le grand patron de Boréal, Pascal Assatiany, était secoué par la nouvelle. «Ce n'était pas un vieux monsieur... C'est vrai qu'il ne s'est jamais ménagé, qu'il avait des hauts et des bas, mais là c'est autre chose.» En vacances dans la baie de Fundy, au Nouveau-Brunswick, ses premières pensées sont allées à la fille de l'auteur, Sayaka. «Que peut-on dire de plus?»

On peut parler de son oeuvre, qui même si elle est passée à toute vitesse, «n'a rien d'une étoile filante puisqu'elle est restée», estime-t-il. N'empêche qu'en seulement quatre romans publiés entre 1994 et 2002, Gaétan Soucy, qui était aussi professeur de philosophie au cégep Edouard-Montpetit, aura marqué notre littérature avec une oeuvre exigeante, mais accessible. «Il créait des univers très particuliers, parfois à partir de sujets qui avaient l'air banals, dit Pascal Assatiany. Avec un style très onirique, efficace sans être réaliste, il était capable de rejoindre les lecteurs.»

Gaétan Soucy avait déjà publié deux romans - L'immaculée conception en 1994 et L'acquittement en 1997, couronné par le Grand prix du livre de Montréal - avant de frapper un grand coup en 1998 avec La petite fille qui aimait trop les allumettes. Ce roman foudroyant, écrit en trois semaines seulement, a connu ici un immense succès public et critique, en plus d'être publié en France au Seuil et traduit dans une vingtaine de langues.

«C'est important ce qui s'est passé avec ce roman. Énorme. Bien sûr que nous étions surpris! Tout à coup, des milliers de personnes se reconnaissaient dans ce livre. Gaétan Soucy a su créer cette histoire incroyable et dure, tout en inventant son style et ses mots. Les éditeurs français pensaient que c'étaient des québécismes. Nous on leur répondait : non, ce sont les mots de Soucy», raconte Pascal Assatiany, qui décrit cette rare convergence des astres comme un «moment parfait». 

Dany Laferrière se souvient de sa première rencontre avec Gaétan Soucy en 1999, sur le plateau de Bernard Pivot. «Le Québec était le pays invité au Salon du livre de Paris. Gaétan Soucy était notre chef de file avec son roman éblouissant. On l'acclamait partout. Pivot ne tarissait pas d'éloges à son endroit. Je me souviens d'un jeune homme au regard à la fois avide et effrayé. Il ne cessait, ce soir-là, de faire des boucles avec ses cheveux, comme intimidé par tant de compliments.»

Gaétan Soucy ne publiera qu'un seul autre roman après La petite fille, Music-Hall!, en 2002. Un livre touffu et baroque qui a reçu le Prix de libraires et le prix France-Québec, mais qui n'a pas obtenu le même accueil que son prédécesseur. Pascal Assatiany n'est pas prêt à dire que Gaétan Soucy a mal vécu son succès, même si être confronté à ce tourbillon «ne peut pas laisser indemne». «Mais en même temps, il savait ce qu'il faisait et où il allait. Il savait que ce n'était pas par hasard qu'il avait cette reconnaissance.»

Il y a quelques semaines à peine, Gaétan Soucy l'assurait qu'il travaillait à quelque chose. «Je suis certain qu'il désirait écrire. Mais il n'arrivait pas à faire ce qu'il voulait, d'où peut-être les tensions et la frustration de ne pas réussir.»

De l'université Middlebury, au Vermont, d'où il nous a écrit mercredi, Dany Laferrière raconte lui aussi que Gaétan Soucy lui a dit récemment : «Je vais revenir, j'écris». «Il s'étonnait qu'on se souvienne de lui. Je ne comprenais pas cette humilité, car il reste à mes yeux l'un des meilleurs stylistes de notre littérature. Je suis pris à l'étranger sans un de ses livres à portée de main. Sa prose fiévreuse me manque en ce moment.»

C'est «le roman qu'il n'aura pas eu le temps d'écrire» qui manquera le plus à Pascal Assatiany. «Je ne peux m'empêcher de penser qu'il laisse quelque chose d'inachevé. Mais il laisse aussi de très grands livres, tous aboutis. C'était un vrai écrivain, qui appartient maintenant au monde.»