Il entre en scène en passant par un (petit) trou dans le rideau. Il brise une patte du piano mais réussit, au bout de douloureux efforts, à le faire tenir en glissant le banc dessous. Il déplace l'instrument en le traînant sur son dos lorsque le faisceau lumineux n'éclaire pas la bonne partie de la scène. Le pianiste ne manque pas de ressources, et même s'il tombe et casse tout ce qu'il touche, il ne se décourage jamais.

Présenté au théâtre Centaur dans le cadre du festival Montréal complètement cirque, Le pianiste est un spectacle clownesque mené par l'étonnant Thomas Monckton, Néo-Zélandais efflanqué qui, pendant près d'une heure, va tout faire sauf jouer du piano. Il mettra dix bonnes minutes avant de l'atteindre, chiffonnera ses partitions après avoir jonglé avec elles, ne réussira à ouvrir le clavier qu'à l'aide de l'une des pédales qu'il utilise comme levier, la remettant à sa place chaque fois qu'il l'utilise (ce qui se produit souvent).

Catastrophe empreinte de poésie

Cette idée de personnage catastrophe ambulante n'est pas nouvelle : mimiques expressives, répétition des situations, c'est la rigolade assurée, partout où Le pianiste passe. Mais s'il a la naïveté inhérente au clown, son protagoniste est aussi doté d'une bonne dose de roublardise qui rend le jeu avec le public probablement encore plus amusant. C'est qu'il a de la difficulté à admettre ses erreurs, qu'il s'impatiente souvent et que ses regards de connivence en disent long : il est peut-être maladroit, mais il nous attend au détour et il est conscient qu'on sait que chaque étape de son concert sera ponctuée par une gaffe.

Et des gaffes, il y en a, l'une n'attend pas l'autre, certaines qu'on voit venir, d'autres qui surprennent.

À travers les gaffes, Thomas Monckton offre une performance véritablement athlétique, exécutant des figures acrobatiques suspendu au lustre par les pieds ou les mains, courant autour du banc pour en baisser le niveau, sautant sur ou sous le piano, traversant la salle en marchant sur les dossiers de sièges.

Créateur d'images

Il ne manque ni de souffle ni de souplesse, mais surtout, il est débordant d'imagination. Chaque scène est prétexte à décrocher de la réalité et à s'inventer une nouvelle histoire. Il crée une poursuite simplement avec ses doigts, donne vie à des monstres étranges cachés sous un drap, imite le cow-boy ou le patineur, mime le jeu du piano ou du violon, mais, lorsqu'il prolonge ses gestes, semble tartiner du beurre sur son pain ou manger une pomme.

Le pianiste fait souvent rire franchement, et presque toujours sourire : il est difficile de rester insensible à cet univers iconoclaste aux éclats de poésie pure. Lorsque, finalement, il jouera vrai en nous décochant un regard oblique, c'est toute la salle qui tombera sous le charme de ce drôle de bonhomme à l'énergie débridée, véritable créateur d'images et de fous rires.

Le pianiste, au Centaur jusqu'au 9 juillet.