Le Musée d'art contemporain brise la glace de 2016 avec l'artiste islandais Ragnar Kjartansson. Quatre oeuvres singulières, voire épiques, dont un opéra sans chanteur. Ragnar Kjartansson est un alchimiste, dont l'art conceptuel est lié aux émotions.

Imaginons-le dans un laboratoire enfoui sous une chape de glace éternelle. On entend des sons, il voit des objets. On voit un acte répétitif, il entend la vie. Pas un savant fou. Plutôt un romantique dans une quête illusoire de la beauté.

Ragnar Kjartansson a représenté l'Islande à la Biennale de Venise en 2011 et, l'automne dernier, il a eu droit au Palais de Tokyo à Paris. La plupart de ses oeuvres commencent pourtant par une blague.

«En travaillant, je sculpte de façon à éliminer la blague, dit-il en entrevue, de l'Islande. Le bloc de marbre est une farce et ce qui reste à la fin est l'oeuvre d'art. Je crois que plusieurs artistes fonctionnent comme ça. La blague est bonne, mais il n'y a rien de drôle à propos de la blague.»

«Ma grand-mère dit toujours qu'il n'y a rien de plus important qu'une blague.»

L'artiste ne se prend pas au sérieux. Ses oeuvres sont éminemment accessibles, mais cachent un esprit attiré par le pathétique dans l'humain, comme l'indique le titre d'une de ses chansons: You Should Never Underestimate the Power of Pathetic.

Sa réflexion creuse profondément sous la surface de concepts simples. Il cherche des pépites d'or dans une mine où il faut sans cesse dépasser ses propres limites physiques et mentales.

«Je travaille beaucoup avec l'idée de transformer une performance en quelque chose de sculptural, de transformer une action en un objet. Je crois que cela vient du fait que j'ai grandi avec le théâtre; mes parents étant acteurs. Des actions répétées prennent ainsi une forme sculpturale ou picturale.»

A Lot of Sorrow 

Sa vidéo A Lot of Sorrow est la captation d'une performance du groupe américain The National, qu'il «adore», dit-il, et qui joue pendant six heures sa chanson intitulée Sorrow.

«Après l'avoir entendue 200 fois, je me suis dit qu'il s'agissait de LA chanson narrative à transformer en objet. Ils ne semblaient même pas fatigués à la fin. Sorrow est une chanson monocorde permettant une écoute en continu. Ce n'est pas un test d'endurance pour le spectateur. Il est plus intéressant de voir ce que chacun ressent en voyant la vidéo après quelques minutes.»

The Visitors

The Visitors est une installation vidéo comportant neuf écrans. Chacun montre un musicien, dont Kjartansson lui-même, en train d'interpréter une chanson qui est reprise à l'unisson par le groupe. 

«L'idée était de séparer la chanson en différents canaux, comme dans une console de mixage, explique l'artiste. J'utilise la méthode Stockhausen pour la spatialisation du son, mais en jouant une chanson romantique country. J'aime juxtaposer des choses qui semblent contraires, travailler avec les émotions et les conceptualiser. Les paroles ont été écrites par mon ex-femme.»

Word Light

L'une des grandes sources d'inspiration pour tout artiste islandais demeure le Prix Nobel de littérature en 1955, Halldór Laxness, dont le chef-d'oeuvre Word Light a grandement touché Ragnar Kjartansson.

«C'est un grand roman; on peut en tirer beaucoup de choses. Ma pièce est constituée de quatre écrans. Avec des amis de la scène artistique de Reykjavik, nous avons fait un film in situ. Le jeu, les décors, la musique: nous avons tout filmé pendant 26 heures, donc l'idée de répétition encore. À la fin, les quatre écrans sont juxtaposés et ça devient une cacophonie. C'est comme si on prenait le roman et on en faisait une peinture cubiste. Comme regarder une peinture qui vous parlerait pour ne dire qu'une chose: beauté. Ça parle de l'artiste qui cherche la perfection. Ce qui est impossible. Toute quête est un échec misérable. Il y a des moments de beauté, mais cela ne dure jamais.»

Les sonorités explosives de la divinité

Autre inspiration de Laxness et démonstration de la pertinence de musique comme «art visuel», cet opéra sans acteur sera présenté le 3 mars au Théâtre Maisonneuve avec l'Orchestre métropolitain. L'artiste islandais a notamment peint les décors.

«J'ai travaillé comme technicien de scène au théâtre. Il y avait ces répétitions techniques sans les acteurs et, chaque fois, je me disais "mais c'est tellement mieux sans les acteurs". De le faire en spectacle, cela devient beau. Beaucoup de choses se passent dans le fond. La pièce dure 50 minutes, mais, bizarrement, on sent que c'est plus court.»

La musique a été composée par l'ancien membre du groupe islandais réputé Sigur Rós, Kjartan Sveinsson.

«C'est mon ami. Il est aussi dans The Visitors. Nous collaborons souvent et il est de ma prochaine création, qui sera quelque chose de complètement différent.» 

Réussira-t-il enfin à transformer la musique en or?

_____________________________________________________________________________

L'exposition Ragnar Kjartansson est présentée au Musée d'art contemporain du 11 février au 22 mai 2016.