C'est un grand photographe international. Mais il chante aussi. Rencontre avec un oiseau rare, qui est resté fidèle à la pellicule.

Dans le milieu du photojournalisme, Larry Towell est une sommité. Son portfolio unique, à la croisée de l'art et du documentaire politique, a fait le tour du monde.

Ce qu'on sait moins, c'est que Larry Towell est aussi un chanteur de folk, avec cinq albums à son actif. Et qu'il fait aussi de la vidéo, de la poésie et de l'ethnographie sonore.

«De nos jours, il faut savoir se diversifier et se réinventer. Sinon, on est un canard mort», lance le Canadien de 60 ans, joint dans sa ferme en Ontario.

Invité à Montréal dans le cadre de la 56e exposition World Press Photo, Larry Towell montrera toute l'étendue de cette «diversité», les 12 et 13 septembre prochains, sur la scène du centre Phi. Son spectacle Blood in the Soil, donné avec l'harmoniciste Mike Stevens, proposera un mélange de chanson, d'impro musicale, de documents sonores (field recording), de film et de photographies prises depuis les années 80, incluant son travail le plus récent, effectué en Afghanistan.

«Il y a une limite à ce qu'une photo peut dire, lance le photographe. Le son raconte aussi beaucoup de choses. D'où l'idée de cette performance multimédia, où j'inclus notamment des sons enregistrés sur le terrain en Afghanistan. C'est un peu le même principe qu'un film muet avec un pianiste dans la salle.»

Fidèle à la pellicule

Larry Towell a fait de la musique bien avant de devenir photographe. Né dans une famille artistique, il jouait de la batterie à l'âge de 9 ans et a reçu sa première guitare au secondaire. Ses albums offrent un mélange de compositions, de poèmes et d'effets sonores à saveur documentaire.

Mais c'est surtout comme photographe que Larry Towell a bâti sa renommée. Il a notamment gagné de nombreux prix internationaux pour ses reportages photo saisissants rapportés du Nicaragua, du Guatemala, de Palestine, du Mexique (avec les Mennonites) ou d'Afghanistan. Non négligeable: il est aussi le premier - et le seul - Canadien à faire partie de l'agence de photojournalisme Magnum, fondée à la fin des années 40 par Robert Capa et Henri Cartier-Bresson.

À l'heure de la photographie 2.0, ce barbu au look anachronique est toutefois devenu un véritable oiseau rare. Alors que la photo numérique a envahi les médias et notre monde effréné, il est resté fidèle au noir et blanc et surtout, à la pellicule, qu'il utilise dans la majorité de son travail.

Simple question de goût, dit-il d'emblée. Mais à force de le faire parler, on comprend que ce choix est aussi philosophique. Pour cet adepte de la lenteur et de la face cachée du monde, la qualité d'une photo se mesure effectivement sur la durée, plutôt que dans l'immédiateté.

«J'ai toujours fait des projets avec une perspective de longévité et non pour la gratification instantanée, explique-t-il. La pellicule te fait travailler plus dur, mais elle donne de la distance. Le problème, quand tu es collé sur l'actualité, c'est que tu peux manquer de perspective. Qu'on se comprenne. Je ne suis pas contre l'utilisation du numérique. Si j'étais chef d'une salle de rédaction, je ferais probablement la même chose. Mais pour un type comme moi, qui peut travailler 10 ans sur un même sujet, ce n'est pas le support adéquat.»

Quand tout le monde est parti...

Appelez ça de la loyauté ou de la résistance. Mais il est clair que les positions «traditionnelles» de Larry Towell lui compliquent parfois la vie. Il y a quelques années, il a notamment refusé un contrat en Irak parce qu'il ne pouvait pas garantir au client qu'il pourrait lui envoyer des photos chaque soir...

Qu'importe. Towell n'est pas en manque de projets. Un livre sur son travail en Afghanistan est actuellement en préparation (Éditions Aperture). Le photographe revient par ailleurs d'Attawapiskat (nord de l'Ontario), la réserve crie qui avait demandé l'aide de la Croix-Rouge il y a deux hivers. La situation s'est-elle améliorée? «Oui.. Peut-être... Trop tôt pour en parler», dit-il, laconique.

Un voyage en Égypte et en Syrie est aussi prévu à son horaire. Mais le photographe n'est pas pressé: il préfère «le après» au «pendant».

«Je vais attendre que ça se calme et que tous les médias rentrent chez eux, conclut-il. C'est plus facile de travailler de façon intime quand tout le monde est parti. En général, c'est comme ça que je fonctionne...»

> Blood in the Soil, performance multimédia de Larry Towell, les 12 et 13 septembre au Centre Phi, dans le cadre du World Press Photo.

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