Après avoir longtemps négligé, voire malmené le peintre Edvard Munch, la Norvège fait amende honorable auprès d'un de ses plus grands artistes en mettant sur pied la rétrospective la plus complète jamais organisée pour célébrer le 150e anniversaire de sa naissance.

Le Cri est bien sûr là, mais aussi les autres trésors: La Madone, Vampire ou encore La danse de la vie... Ouverte au public à partir de dimanche, l'exposition Munch 150 offre une plongée sans précédent dans l'oeuvre d'Edvard Munch (1863-1944) de ses premiers travaux jusqu'à sa mort.

«Il y a eu bien des expositions sur Munch dans le passé mais pour des raisons artistiques ou pratiques, elles se concentraient généralement sur un thème», explique à l'AFP Audun Eckhoff, le directeur de la Galerie nationale d'Oslo.

Cette fois-ci, l'exposition, à la fois chronologique et thématique, vise à montrer l'évolution et l'étendue du travail du grand peintre à travers 270 peintures et dessins répartis sur deux sites, la Galerie nationale et le musée Munch: à la première, les tableaux du début, de 1882 à 1903 ou «comment Munch est devenu Munch» comme le résume M. Eckhoff, et au second les oeuvres des 40 années suivantes.

Dès ses premiers coups de pinceau, Munch affiche sa singularité, s'annonçant comme un pionnier de l'expressionnisme. Ses tableaux sont alors décriés comme étant inachevés, d'autant plus qu'il touche à des thèmes difficiles comme la maladie avec, par exemple, L'enfant malade.

Le jeune peintre a visiblement été très marqué par la mort prématurée de sa mère et de sa soeur, emportées par la tuberculose.

Un voyage en Europe (Anvers, Paris, Nice...) l'imprègne des tendances du temps, l'impressionnisme et le réalisme, mais il s'en éloigne rapidement et étend son répertoire à d'autres sujets tabous comme la puberté ou la vie de bohème.

Une part importante de son oeuvre reste faite de variations sur les mêmes thèmes: parfois avec plusieurs décennies d'écart, il revisite les mêmes motifs qui forment une vaste série, La Frise de la vie.

La fresque s'articule autour de trois axes: l'épanouissement et le déclin de l'amour (Le baiser, Jalousie), l'angoisse avec l'incontournable Cri et les autres tableaux aux personnages fantomatiques, et la mort avec ses masques blafards (Le lit de mort).

Une thématique moderne et indémodable qui lui permet d'occuper encore une place importante dans la culture populaire, du simple tee-shirt au film cinématographique.

Pourtant, Munch a été longtemps délaissé dans son pays natal. La municipalité d'Oslo à qui il a légué son oeuvre en avril 1940, pour la protéger des nazis qui ont envahi la Norvège quelques jours auparavant, a par la suite confiné ce trésor dans un bâtiment tristounet et vieillot dans un quartier excentré de la capitale norvégienne.

La fréquentation n'a jamais affolé les calculettes et la sécurité s'est avérée très déficiente puisque deux exemplaires du Cri, celui de la Galerie nationale et l'un des deux conservés au musée Munch, seront volés en 1994 et en 2004, avant d'être retrouvés ultérieurement.

Il faut dire que Munch lui-même n'avait pas la main tendre pour ses toiles qu'il lui arrivait d'entreposer dehors, offertes aux éléments, pour parachever leur dureté artistique. On a même retrouvé une coulée de cire sur le Cri qu'il n'avait visiblement pas pris la peine de faire disparaître.

«À l'époque moderne, Munch a été partie intégrante de l'éducation de chaque nouvelle génération et on a eu tendance à le négliger comme une évidence», résume Stein Olav Henrichsen, directeur du musée Munch.

Mais cette ère de négligence semble sur le point de s'achever, peut-être grâce au retentissement que Munch a récemment connu à l'étranger.

À Paris, Londres et Francfort, un million de personnes ont récemment visité l'exposition «L'oeil moderne» et une version du Cri, la seule en des mains privées, a été adjugée pour la somme record de 119,9 millions $ à New York l'an dernier.

Après des années de tergiversations plutôt embarrassantes, la municipalité d'Oslo a donc trouvé un accord cette semaine pour bâtir un nouveau musée Munch, en bordure du fjord, dans un bâtiment plus digne censé ouvrir en 2018.