La Presse a eu le privilège d'admirer la collection de peintures que Renata et Michal Hornstein ont décidé de léguer au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) plutôt que de la vendre. D'une valeur de 75 millions, les 80 peintures d'art ancien étaient convoitées dans le monde entier. Mais leur amour de Montréal et du Québec l'a emporté...

M. et Mme Hornstein ont reçu La Presse dans l'un de leurs salons, décoré de nombreuses peintures, notamment des toiles de Chagall et de Corot. Bien en évidence, on note Le bûcheron, du peintre suisse Ferdinand Hodler (1853-1918). Le Musée d'Orsay en a acheté une version identique en 2005 pour 2,7 millions.

Hodler a joué un rôle majeur dans la vie de collectionneur de Michal Hornstein. Il l'a découvert en 1947 à Zurich. «Un homme riche voulait acheter 24 dessins de Hodler à un marchand d'art qui en avait 423, dit-il. J'ai mangé avec le marchand et lui ai demandé combien il voulait pour les 423dessins. Il m'a dit un prix. J'ai demandé un meilleur prix, mais c'était tous les dessins qu'Hodler avait faits dans sa vie et que sa femme voulait vendre. J'ai tout acheté.»

M. Hornstein a prêté plusieurs de ces dessins pour des expositions à Paris et aussi à Montréal en 1983 avant d'en faire don au musée. «À l'époque, ils valaient entre 500$ et 3000$ chacun, dit-il. Aujourd'hui, ne me demandez pas! C'est sûrement plus de 7000$ ou 9000$ chacun.»

Dans l'appartement dominent les toiles des peintres flamands aux côtés de sculptures de Rodin, Zadkine ou Dalou. Michal Hornstein raconte des anecdotes sur ses achats, par exemple à propos de ce portrait de femme réalisé en 1574 par Peeter Jansz Pourbus, qu'il a racheté à un collectionneur argentin, pour le placer près du portrait d'un homme peint la même année par Pourbus. «Ça faisait 200 ans que les deux toiles n'avaient pas été réunies», dit-il, ému.

Dans une autre pièce, il montre sa pièce maîtresse, un tableau de paysage de Joos de Momper dont des éléments ont été peints par Jan Brueghel l'Ancien. «L'oeuvre est évaluée à 10 millions, dit M. Hornstein. Lors d'une vente, le prince du Liechtenstein convoitait la paire de tableaux de Joos de Momper. On est repartis chacun avec une toile! Moi j'ai celle-ci mais l'un veut toujours acheter la toile de l'autre!»

Pour faire entrer cette peinture de 1,88 m x 2,23 m chez lui, dans son penthouse au 17e étage, il a fallu fermer la rue pendant six heures pour permettre à une grue de déposer l'oeuvre sur une terrasse avant de démonter la porte-fenêtre qui donne sur la salle à manger!

Leur histoire

De confession juive, Renata et Michal Hornstein sont nés en Pologne dans les années20. Ils ont miraculeusement survécu à l'holocauste. Michal Hornstein vient d'une famille qui possédait une usine de chemises, HoGo, qui employait 300 personnes. L'entreprise fut réquisitionnée par les nazis en 1939 et confiée notamment au fameux Oskar Schindler. Ce jour-là, la famille a tout perdu et n'a jamais été dédommagée.

Arrêté à Budapest en 1943, Michal Hornstein a été déporté à Auschwitz dans un train de marchandises avec 63 prisonniers russes et 6 autres garçons juifs. Grâce à une porte mal fermée, ils ont tous sauté du train en marche. «Sur le toit des wagons, il y avait des soldats allemands avec des mitrailleuses, raconte-t-il. On a couru jusqu'à la forêt. Sur les 70 personnes, on est 7 à s'en être sortis. On a rejoint des partisans tchécoslovaques.»

Après la guerre, il rencontre Renata. Ils s'installent à Rome où ils se marient. Michal travaille dans le marché monétaire. «Je me suis fait une fortune, dit-il. En une semaine, je gagnais 2000$. C'était la dolce vita!»

Renata fait découvrir à son mari la peinture européenne des XVIe et XVIIe siècles. Ils commencent à collectionner. Inquiétés par les Russes, ils décident d'émigrer au Canada. Ils arrivent à Montréal le 3 juillet 1951. Un an plus tard, Michal Hornstein crée la compagnie immobilière Federal Construction. Faisant beaucoup d'argent, le couple continue de collectionner. «Je me faisais représenter, dit-il. Parfois, je me suis déplacé, à l'occasion avec Pierre Théberge, l'ex-directeur du Musée des beaux-arts de Montréal.»

Michal Hornstein est entré au conseil d'administration du MBAM en 1970. Depuis 1982, il préside le comité d'acquisition de l'art européen ancien. Ami de Jean Chrétien, Jeanne Sauvé, Jacques Parizeau et Pierre Bourgault, il a toujours été un esprit libre. «Quand on saute d'un train pour survivre et qu'on survit, il n'y a plus grand-chose qui nous dérange», dit-il.

Le don

Pourquoi le couple a-t-il choisi de donner sa collection au MBAM? «Parce que nous avons vécu ici et que nous avons été très heureux dans ce pays, souligne d'abord Renata. Quand vous savez donner, vous recevez. Et c'est bien qu'il y ait quelque chose qui nous représente à Montréal.»

Michal Hornstein ajoute qu'il a toujours eu le goût de faire partager ses peintures. D'ailleurs, il les prête régulièrement aux musées. «Les gens qui veulent voir les oeuvres d'art ne sont pas riches et je voulais qu'ils aient accès à l'art, note-t-il. J'ai fait la même chose pour les hôpitaux. Nous avons donné de l'argent par exemple à l'Institut de cardiologie de Montréal et à l'Université de Montréal pour s'occuper de la maladie de Parkinson mais à une condition: que les patients aient accès aux services médicaux rapidement et gratuitement.»

Michal Hornstein voulait aussi que sa collection soit dignement exposée. «L'arrangement que j'ai eu avec l'ex-ministre Raymond Bachand s'est fait en 10 minutes, dit-il. Je lui ai dit: «Vous avez la collection si vous faites en sorte que le pavillon soit construit.» Il m'a dit: «Combien ça prend? «Je lui ai dit: «Voyez ça avec Paul [Lavallée, directeur administratif du musée]. Mais venez voir la collection chez moi avant.» Il est venu avec Paul. Il n'en revenait pas. Il m'a dit: «Êtes-vous sérieux?» On s'est serré la main. L'affaire était conclue.»

Plus grands mécènes de l'histoire du MBAM, les Hornstein lui auront donné une centaine de peintures et 423 dessins, d'une valeur totale dépassant les 100 millions. «On aurait pu vendre cette collection en une journée, dit Michal Hornstein. À New York, les gens ne comprennent pas pourquoi je ne vends pas. Mais je n'ai pas besoin d'argent. Je ne vois pas de raison de la donner à mes enfants. Je ne regrette rien. J'espère que je verrai le musée construit. J'ai quand même 93 ans! On verra...»

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Un nouveau pavillon en 2017

La collection Hornstein trouvera demeure en 2017 au sein du cinquième pavillon du Musée des beaux-arts de Montréal. L'architecture sera réalisée par le consortium Manon Asselin Architecte-Jodoin Lamarre Pratte Architectes. Il sera construit rue Bishop, au sud du pavillon Jean-Noël-Desmarais et de la rue Sherbrooke. L'immeuble sera fait de verre, de pierre et de bois. Une dentelle de pierre grise extérieure permettra de l'intégrer harmonieusement au patrimoine victorien environnant. Il comprendra un escalier de bois majestueux, des jardins intérieurs, un lien par voie souterraine et un lien aérien avec le pavillon contigu. Il doit être inauguré dans le cadre des célébrations du 375e anniversaire de Montréal. La construction, au coût de 18,5millions, sera payée par Québec: c'était la condition posée par le couple Hornstein pour faire don de sa collection.