Des retrouvailles émouvantes: à 84 ans, l'Américain Thomas Selldorff s'est vu restituer mardi par la France six tableaux du XVIIIe siècle que son grand-père juif viennois avait été contraint de céder dans l'urgence en 1941 pour fuir Paris occupé par les Allemands.

Au cours d'une cérémonie de restitution au ministère de la Culture à Paris, M. Selldorff s'est déclaré «très heureux». «La restitution n'a pas été un processus facile. Cela a pris beaucoup de temps», a déclaré l'octogénaire qui vit près de Boston et avait vu ces oeuvres chez son grand-père à Vienne lorsqu'il avait six ans.

Devant les six toiles de peintres italiens (Gaspare Diziani, Sebastiano Ricci...) et autrichien (François-Charles Palko), conservées dans des musées français, M. Selldorff a évoqué le souvenir de son grand-père, Richard Neumann, industriel du textile viennois passionné d'art.

Propriétaire de plus de deux cents oeuvres avant la guerre, Richard Neumann avait dû fuir l'Autriche après son annexion par l'Allemagne nazie en 1938, en laissant derrière lui une partie de ses tableaux réquisitionnés ensuite pour les collections autrichiennes.

Avec sa famille, il avait cependant pu emporter à Paris certaines oeuvres, mais il avait dû les céder dans l'urgence en 1941 à des marchands pour pouvoir payer des passeurs et gagner l'Espagne puis Cuba. Par la suite, il s'est installé à New York.

Les nazis avaient récupéré ces oeuvres pour les envoyer au musée qu'Adolf Hitler projetait d'ouvrir à Linz, sa ville natale.

«C'est la première fois que je les revois pour de vrai», a déclaré, tout ému et dans un bon français, M. Selldorff qui mène depuis plusieurs années des démarches en Autriche et en France pour retrouver une partie du patrimoine familial.

«Un grand jour»

«C'est un grand jour pour moi. J'ai trois enfants, déjà grands, et les tableaux vont rester en famille dans nos maisons respectives. Mais j'aimerais aussi pouvoir les prêter à des musées, par exemple à Boston», explique-t-il.

Les tableaux ont été retrouvés grâce aux recherches d'une historienne de l'art autrichienne, Sophie Lillie, et au travail de la Commission d'indemnisation des victimes de spoliation (CIVS) en France.

Ces tableaux font partie des 2000 oeuvres d'art devenues MNR (Musées Nationaux Récupération) en l'absence de propriétaires identifiés. Sous la garde de l'État français, les MNR sont conservées dans les musées, en attendant que quelqu'un les réclame.

Un septième tableau, du XVIIe siècle, MNR lui aussi, a été restitué mardi au cours de la même cérémonie à un ayant-droit du banquier praguois Josef Wiener, mort en déportation.

Cet ayant-droit était représenté par son avocate, Imke Gielen. «C'est le fils d'une amie londonienne de l'épouse de Josef Wiener», a précisé son avocate à l'AFP. Ce Britannique vit à présent en Israël, a-t-elle ajouté.

La Halte, peinture du Hollandais Pieter-Jansz van Asch (1603-1678), avait été vendue à Munich sous la contrainte des événements en 1941. À la fin de la guerre, lorsque les Alliés ont récupéré en Allemagne les oeuvres d'art dérobées par les nazis, ils se sont attachés à les renvoyer dans leur pays d'origine. La toile de van Asch s'est retrouvée par erreur en France.

La ministre française de la Culture Aurélie Filippetti entend mener «une action plus volontariste» sur la question des MNR, tout en relevant l'important travail accompli par ses services.

«D'autres restitutions auront sans doute lieu dans le courant de l'année 2013», a-t-elle annoncé.

«Avant, on attendait les demandes des ayants-droit pour débuter les recherches. Maintenant, on va de nous-mêmes rechercher les propriétaires», a-t-elle expliqué.

Les recherches vont se concentrer sur 163 oeuvres d'art MNR. Un groupe de travail a été créé pour en retrouver les propriétaires. Il devra rendre un rapport «au premier semestre 2014», a indiqué la ministre.