Les consommateurs confondent souvent, sur l'internet, les billetteries officielles, comme Ticketpro ou Billetech, et les sites de revente.

C'est pour protéger les consommateurs que l'ADISQ a appuyé la loi 25, qui interdit la revente de billets à un consommateur par un commerçant sans le consentement du producteur.

Cette loi, adoptée le 7 juin 2012, oblige aussi les sites de revente à préciser qu'il s'agit d'une revente, à donner le nom de la billetterie officielle, à indiquer que cette dernière pourrait encore lui offrir des billets et à l'informer du coût de ces billets.

Dans les faits, la loi 25 a forcé les sites de revente comme Billets.ca ou 514 billets à changer de modèle d'affaires et à devenir des plateformes de revente de détenteurs de billet à acheteurs de billet.

Toutefois, selon nos informations, 200 billets ont été achetés sur Billetech, la billetterie du Grand Théâtre de Québec, pour le spectacle de Fred Pellerin, qui affiche complet un peu partout au Québec.

«Billetech a fait l'objet d'une demande péremptoire de la part de l'Office de la protection du consommateur, afin de fournir toutes les listes de billets vendus et l'identité des acheteurs», a confié une source oeuvrant dans l'industrie de la billetterie.

«Comment peut-on expliquer que pour une représentation de Fred Pellerin au Grand Théâtre de Québec, 200 billets sont vendus au même endroit, sur la Rive-Sud de Montréal, sous 10 noms différents, et qu'on retrouve ces billets en vente sur le même site internet?», demande notre source.

En vertu de la loi 25, quand une billetterie constate un cas flagrant de fraude, elle est tenue de contacter le promoteur du spectacle pour lui signaler que des billets ont été achetés par des revendeurs et lui demander s'il désire faire annuler sa commande. Certaines le font, mais ce n'est pas toujours le cas.

En juillet dernier, de nombreux consommateurs ont perdu leurs billets pour le concert de Céline Dion sur les plaines d'Abraham. «Ils pensaient avoir acheté leurs billets sur un site autorisé. Ils se sont présentés au guichet, mais personne ne pouvait les aider, car ils avaient acheté d'un revendeur», ajoute notre source.

Balayés un à un, les billets pour le spectacle de Céline Dion auraient ainsi révélé des adresses de courriel récurrentes, liées à des noms différents. «Dans le cas de Céline, on parle d'un nombre de billets à quatre chiffres, achetés sur Billetech et revendus sur internet. Vous verriez les listes, ça ne prend pas un cours classique pour comprendre!»

De «fan à fan»

De son côté, Éric Bussières, président de Billets.ca, est catégorique: son site fait uniquement le lien entre un consommateur qui veut vendre ses billets et celui qui désire en acheter.

Comment ça fonctionne? Pour chaque transaction entre deux consommateurs, Billets.ca touche une commission de 15% auprès du vendeur et de 10% du côté de l'acheteur. Si Billets.ca dit avoir cessé de vendre à des particuliers, le site fait encore affaire avec des entreprises.

«C'est une grosse partie de notre clientèle. Je vous mentirais si je vous disais que je n'achète plus, mais ça représente peut-être 5% de mes billets», affirme Éric Bussières.

«On n'a pas changé à cause de la loi. Nos concurrents ne sont pas au Québec, mais aux États-Unis, avec des compagnies de revente «fan à fan», comme Stubhub, ajoute-t-il. Dès 2008, on s'est aperçus que des gens nous appelaient pour revendre leurs billets. Rapidement, de 40 à 50% de nos revenus sont venus de ces transactions.»

À voir le nombre de billets qui circulent sur Kijiji, LesPAC.com ou Craigslist, il semble en effet que les consommateurs ont compris qu'ils pouvaient eux aussi profiter du lucratif marché de la revente. C'est le cas de Peter (nom fictif).

«Je vends environ 200 billets par année, ce qui me permet de mettre de côté entre 5000 et 6000$, confie-t-il. J'achète surtout des billets pour des concerts dans de petites salles comme le Métropolis. C'est plus payant qu'au Centre Bell. Je me suis fait 1000$ en revendant des billets qui en valaient 40$ pour le show de Local Natives au Métropolis. Même chose pour Alt-J: je les ai achetés 20$ et revendus 175$ chacun!»

De promoteurs Ă  revendeurs

Avec la loi 25, les promoteurs peuvent autoriser les acteurs du marché secondaire à revendre leurs billets. Une option qui n'est pas ouvertement envisagée au Québec, mais qui l'est chez nos voisins américains. Des artistes le font aussi. Kid Rock, par exemple, a retenu 1000 billets pour chacun des spectacles de sa tournée afin de les vendre plus cher sur le site ticketsnow.com.

«Je me lance dans le business de la revente, mais je le dis à qui veut bien l'entendre. De nombreux artistes le font depuis de nombreuses années dans le dos de leurs fans. On a regardé les prix sur Stubhub et autres sites du genre et on les a court-circuités», a expliqué le chanteur à Associated Press.

Ticketmaster teste, par ailleurs, une nouvelle fonctionnalité appelée TM+, pour permettre aux consommateurs d'avoir accès aux billets du marché secondaire.

«On en est à la version bêta», indique Jacqueline Peterson, responsable des relations publiques de Ticketmaster Canada. «Pour le moment, ça ne concerne que quelques centaines d'événements aux États-Unis. Si l'utilisateur veut voir les billets disponibles à la revente pour un concert, par d'autres fans ou par des revendeurs, c'est possible avec TM+. Ces tickets ne sont donc vendus ni par Ticketmaster ni par l'artiste.»

Les prix sont déterminés par les fans ou les revendeurs, et Ticketmaster demande une somme pour effectuer la transaction.

En Angleterre

En février 2012, l'émission britannique Dispatches, diffusée à Channel Four, a présenté The Great Ticket Scandal, un reportage qui a mis au jour le modèle d'affaires de deux des plus importants sites de revente de billets «de consommateur à consommateur» en Europe, Viagogo et Seatwave.

Les enquêteurs ont réussi à les infiltrer et à démontrer qu'ils continuent à acheter des billets dans les billetteries officielles, grâce à une multitude de cartes de crédit, mais aussi que certains promoteurs de spectacles, comme Live Nation et SJM, leur en vendent directement.

Dispatches a ainsi prouvé que Live Nation et SJM font le partage de revenus avec Viagogo: 90/10, plus 15% de frais d'admission au site de revente. Au final, seulement le quart des ventes de billets du site se font de consommateur à consommateur.

Une vidéo sur YouTube montre également Joe Cohen, PDG de Seatwave, en train d'expliquer d'où proviennent les billets en vente sur son site: 68% des revendeurs, 21% des consommateurs et 11% des organisateurs d'événements.

LiveNation est entre autres promoteur de Madonna, U2 et Rihanna, alors que SJM s'occupe des concerts de One Direction. Tous ces artistes se sont produits au Centre Bell, ce qui soulève des questions quant au fonctionnement de la billetterie au Québec.

La Presse a contacté evenko à plusieurs reprises pour savoir si de telles pratiques avaient lieu au Centre Bell, mais le promoteur de spectacles a décliné nos demandes d'entrevue.