Lorsqu'on arrive à la maison de Philippe Bergeron, en banlieue de Los Angeles, on est accueilli par sa propre image.

M. Bergeron, fondateur de la compagnie Paintscaping, a dissimulé un grand miroir dans la végétation, devant sa maison. Lorsque vous sortez de votre voiture, vous arrivez face à face avec vous-même, et c'est un peu déroutant.

«Attends de voir mon jardin», répond-il, sourire en coin.

À l'arrière de sa maison, des palmiers et des plantes tropicales occupent la cour. Des sentiers de pierre serpentent entre les arbres, semblant s'enfoncer dans une forêt infinie. Encore là, c'est une illusion: des miroirs positionnés au bout des sentiers donnent l'impression d'un jardin sans fin.

C'est ici qu'un soir, en 2009, Philippe Bergeron a fait une découverte qui allait changer sa vie.

«J'avais branché un projecteur vidéo, dit-il, et je diffusais vers le jardin quand par mégarde ma main a effleuré le pavé tactile de l'ordinateur portable.»

Le programme Apple Works était ouvert. Sans le vouloir, M. Bergeron a recouvert une grosse roche de son jardin avec de la couleur virtuelle.

Cette nuit-là, il s'est amusé à «peinturer» son jardin avec son ordinateur. Le lendemain, il fondait sa compagnie.

Quatre ans plus tard, Paintscaping est aujourd'hui en demande aux quatre coins du globe. Philippe Bergeron et son équipe ont fait du 3D projection mapping à Hawaii, Las Vegas, Los Angeles, Chicago, Paris, Scottsdale, Orlando, en Afrique du Sud et dans la ville de Québec. Parmi ses clients, il compte Sony Pictures, MGM Resorts, les hôtels Ritz-Carlton et le Cirque du Soleil.

Une technique simple

La technique de la 3D projection mapping est simple: au lieu d'utiliser une toile comme instrument de projection, on utilise des objets réels. Organisées le soir, les projections peuvent jouer avec les éléments existants, y ajouter des personnages, de l'animation, etc.

«L'effet est surprenant, car l'oeil ne sait plus faire la différence entre ce qui est réel et ce qui est inventé, dit M. Bergeron. On crée des mondes imaginaires qui semblent exister dans la vraie vie.»

À Las Vegas, M. Bergeron a récemment utilisé six projecteurs qui diffusaient sur huit murs de l'hôtel Monte-Carlo pour un événement mettant en vedette les hommes bleus du célèbre Blue Man Group. Dans la projection, il a fait «s'écrouler» les colonnes de marbre et les murs du bâtiment. L'effet était réussi: des spectateurs grimaçaient, les yeux grands ouverts, prêts à décamper.

Philippe Bergeron a étudié en informatique à l'Université de Montréal. En 1985, il a réalisé avec des amis le court film d'animation Tony de Peltrie, un tour de force pour l'époque, qui a remporté plusieurs prix internationaux. L'un des coréalisateurs était Daniel Langlois, qui a fondé la firme Softimage l'année suivante.

Philippe Bergeron a décidé d'aller vivre à Los Angeles. «J'ai toujours été attiré par L.A., même quand j'avais 12 ans. Je ne sais pas pourquoi», dit-il.

Il a d'abord travaillé comme spécialiste en animation, mais a fini par se lasser d'être assis devant un ordinateur.

«J'ai suivi des cours de stand-up et d'improvisation. Je suis devenu acteur.» M. Bergeron a joué dans plusieurs films, aux côtés de Jean Reno et de Bradley Cooper, et dans la série The Sopranos, notamment.

«Ce n'étaient pas de gros rôles, mais chaque fois, c'étaient des rôles intéressants.»

Depuis son coup de foudre pour le paintscaping, il fait encore des auditions pour la télé et le cinéma, mais son esprit est ailleurs. Et son téléphone portable sonne constamment.

«Avec le 3D projection mapping, tu crées quelque chose de magique. Ça ne ressemble à rien d'autre. C'est une passion pour moi.»

Première chance en 2010

Sa première chance, c'est la communauté privée de Hidden Hills, près de chez lui, qui la lui a donnée. C'était en 2010. «Pour une soirée spéciale, nous avons fait une projection que les gens ont aimée, mais ça n'a pas fait décoller la compagnie», dit-il.

Peu après, un contact dans un hôtel Ritz-Carlton à Hawaii lui propose d'offrir ses services pour une fête de Noël. «Nous voulions 15 000$, et ils avaient un budget de 2000$. Nous l'avons fait, et ç'a été une bonne décision. Ça nous a donné une excellente carte de visite.»

D'autres hôtels de la chaîne Ritz-Carlton ont retenu ses services. Puis Sony Pictures. Depuis, son carnet de commandes ne désemplit pas.

Cet hiver, il a participé à une rencontre amicale de 3D projection mapping organisée lors du Carnaval de Québec.

Le 3D projection mapping est de plus en plus populaire, dit-il. Et le domaine n'en est qu'à ses premières heures.

«Le monde de la mode commence à voir les possibilités que ça offre. Pour le monde de l'aménagement paysager, je crois que le déclic va se produire l'an prochain. Dans le futur, les possibilités vont se multiplier. Une lampe ne sera pas simplement une lampe. On peut créer des mondes avec ça.»