Peu après avoir immigré au Québec, les hommes prennent quatre kilos. Les femmes ? Elles en gagnent cinq. Des kilos qui « ont tendance à ne pas être reperdus », selon une nouvelle étude du Laboratoire de recherche sur la santé et l'immigration (LARSI) de l'UQAM.

Plus de 500 immigrants, rencontrés dans des centres de francisation de Montréal, de Longueuil et de Brossard, ont répondu à un questionnaire sur leurs habitudes de vie, en 2011. La taille et le poids de 274 autres sujets issus des mêmes populations ont aussi été notés, afin de montrer les dynamiques des transformations des habitudes de vie qui surviennent après l'immigration dans le grand Montréal.

Malheureusement, une baisse significative de l'évaluation que les immigrants font de leur état de santé actuel - en le comparant avec celui d'avant leur départ - est rapportée. Sur une échelle de 0 à 100, les répondants fixent à 70 leur état de santé au Québec, contre 85 avant l'immigration. Soit une chute de 15 points. Ce déclin est surtout dû à la brutale chute de 20 points de la santé des femmes.

Plus dur pour les femmes

« La situation des femmes immigrantes est catastrophique, indique Alain Girard, chercheur principal de l'étude, menée sous la direction du professeur Pierre Sercia. Soixante pour cent disent connaître régulièrement des épisodes dépressifs et sont stressées. »

Peut-être que les hommes taisent davantage leurs tracas. « Mais les femmes immigrantes en ont beaucoup sur les épaules, note M. Girard. Elles se sentent responsables du destin et du bien-être de leur famille. »

Ces femmes cuisinent les mets de leur pays d'origine, souvent longs à préparer. Elles s'occupent des tâches domestiques, sans nécessairement bénéficier d'un lave-linge à domicile. S'ajoutent à cela les soins des enfants, la supervision de devoirs dans une langue qu'elles ne comprennent pas bien. « Et beaucoup travaillent à l'extérieur du foyer », souligne le chercheur.

Les immigrants sont fortement scolarisés : la majorité (58 %) des répondants ont fait des études universitaires. Dans leur pays d'origine, ils occupaient des emplois en lien avec leur formation. Mais au Québec, la plupart « font l'expérience d'une non-reconnaissance de leurs diplômes et de leurs compétences professionnelles », selon l'étude.

Cela entraîne une baisse de revenus et beaucoup d'anxiété. Ainsi, 70 % des sondés disent se sentir stressés. Ils considèrent que ce stress a un impact sur leur sentiment de bien-être et sur leur santé.

Protégés par leur bonne alimentation

Heureusement, les immigrants « ont plutôt de bonnes habitudes alimentaires », valorisant les produits frais et la préparation des repas à la maison. « C'est un facteur de protection, entre autres parce qu'ils trouvent que manger est extrêmement important, note M. Girard. C'est central dans leur vie. »

La majorité (70 %) dit manger, la plupart du temps, le style de mets consommés avant d'arriver au Québec. Plus des trois quarts achètent très peu ou pas d'aliments prêts à servir, à l'exception des desserts, gâteaux et biscuits, péchés mignons de plusieurs nouveaux arrivants.

L'alimentation d'un tiers des immigrants est toutefois préoccupante. Environ 10 % d'entre eux sont carrément en situation d'insécurité alimentaire, n'ayant plus les moyens financiers de se procurer la nourriture nécessaire. Ce taux grimpe à 22 % chez ceux qui vivent au Québec depuis moins d'un an. Il est plus fréquent chez les arrivants du Mexique, de Colombie, du Venezuela et du Pérou.

D'autres mangent moins sainement par manque de... saveur. « Les Latinos nous disent que nos tomates, notre salade n'ont pas de goût, illustre M. Girard. Ils vont compenser en mangeant autre chose que des fruits et légumes. »

S'adapter aux coutumes locales

En réalité, le budget plus limité des immigrants modifie leur diète, comme l'offre des aliments et le manque de temps. « Les femmes doivent cuisiner autrement, simplifier les recettes, préparer de grosses quantités puis réchauffer, ce qu'elles ne faisaient jamais dans leur pays d'origine », résume le chercheur.

Un Chinois a confié son désarroi devant la perspective de manger du réchauffé pour dîner, toute sa vie. « Une immigrante a dit qu'une vraie maman ne peut pas donner un sandwich froid à manger à son enfant, témoigne M. Girard. Ce sont des repères fondamentaux, des codes sociaux qui sont bouleversés. »

La preuve, 49 % des répondants n'utilisaient jamais le micro-ondes avant d'immigrer - alors que 95 % en possédaient un. Au Québec, à peine 1 % n'utilisent pas ce parfait complice de nos vies effrénées et individualistes.

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Deux immigrantes témoignent

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1. Au pays du fast-food pas cher - Maria Consuelo Torres

« Notre revenu a diminué un peu, dit sobrement Maria Consuelo Torres, arrivée de Colombie il y a un an, avec son mari et leur fils. C'est la principale cause de notre manque d'accès à de bons aliments. »

Comptable, Mme Torres a immigré à titre de travailleuse qualifiée. Mais faire reconnaître ses diplômes « prend de l'argent et du temps », résume-t-elle dans un bon français.

Au Québec, cette ex-résidante de Bogota a été étonnée de trouver des conserves partout. « En Colombie, nous avons la chance d'avoir toutes sortes de fruits et de légumes frais », indique Mme Torres. Elle prononce les noms de quelques fruits en espagnol - maracuya, guanabana, tamarindo - le sourire aux lèvres. « Ici, avec sept mois d'hiver, je comprends bien que ce n'est pas possible d'en avoir autant », ajoute-t-elle.

Ce qu'elle ne saisit pas, c'est pourquoi les boissons gazeuses sont vendues moins chères que les jus de fruit. Ni pourquoi les hamburgers de McDonald's sont si abordables ici - ce n'est pas le cas en Colombie. « C'est la cause des maladies cardiovasculaires, du diabète », observe-t-elle.

« Ici, c'est très calme »

Si les immigrants prennent du poids à leur arrivée au Québec, « c'est parce que dans nos pays, il y a beaucoup de stress, avance Mme Torres. Ici, c'est très calme. Nous avons une vie sédentaire, surtout si nous ne travaillons pas. »

Elle-même vient de se remettre au jogging. « L'an dernier, j'avais trop de choses à faire liées à l'immigration : chercher un appartement, apprendre la langue, etc. », explique-t-elle.

De Montréal, elle apprécie la diversité culturelle, qui lui permet de goûter toutes sortes de plats. « J'aime aussi que le gouvernement offre beaucoup de protection aux enfants, aux femmes, et une meilleure qualité de vie en général. »

2. Un goût de liberté - Shabnam Matinmehr

« En Iran, on a besoin de beaucoup de temps pour préparer la nourriture », dit Shabnam Matinmehr. Dans son pays d'origine, sa mère se chargeait de cuisiner, tandis qu'elle travaillait comme graphiste.

Au Canada depuis trois ans, l'élégante femme a dû modifier son alimentation. « Je n'arrive pas à trouver les légumes que je mangeais dans mon pays », explique-t-elle en français. Pareil pour le pain et le riz. « Les goûts sont différents », précise-t-elle.

Après être passée au supermarché Akhavan, dans Notre-Dame-de-Grâces, Mme Matinmehr a réussi à concocter de jolis plats iraniens - décorés de pistaches et de safran - pour La Presse. « En Iran, la cuisine est encore traditionnelle, indique Tara Heidari, amie et compatriote de Mme Matinmehr. Ici, tout est industriel. Les gens achètent tout prêt au supermarché, mangent dehors. En Iran, les mères préparent encore les confitures à la maison. »

Au Québec, Mme Matinmehr a eu la surprise de découvrir les cornichons sucrés. « Un choc ! », raconte-t-elle. Sa colocataire, d'origine indienne, lui fait aussi connaître de nouveaux plats. « J'imaginais bien qu'ici, je ne pourrais pas continuer mon style de vie, manger la même nourriture, précise-t-elle. C'est normal. » Si elle a émigré, c'est par goût de... liberté.

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Installée à Montréal depuis deux ans, Shabnam Matinmehr a cuisiné des plats iraniens pour la visite de La Presse. Dont l'ash reshteh, un joli ragoût de nouilles, de légumineuses et de lait fermenté.