En modifiant «l'équilibre actuel» de la Loi 101 et en introduisant de nouveaux critères comme celui de «minorité ethnique», le gouvernement péquiste crée de l'incertitude, estime le Barreau du Québec.

Il prend le risque d'être attaqué devant les tribunaux. Et même aussi celui de permettre à des communautés religieuses de réclamer de nouveaux droits en tant que minorités. «Nous remplaçons des notions connues par des notions aux impacts constitutionnels inconnus. On ouvre des débats dont on ne peut prévoir les issues aujourd'hui», a expliqué le Bâtonnier sortant, Me Louis Masson.

Est-ce possible de modifier la loi pour renforcer le français sans créer une telle incertitude? «C'est une question qui relève du choix des parlementaires», a-t-il répondu.

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Le Barreau présentait son mémoire à la commission parlementaire qui étudie le projet de loi 14, qui renforce la Charte de la langue française. Il a prudemment expliqué que son rôle se limitait à «attirer l'attention des parlementaires sur les impacts possibles des changements annoncés». «Il ne nous appartient pas de décider de ce qui est bien», résume Me Masson.

Mais il note que le projet de loi 14 introduit plusieurs nouveaux concepts de droit. Il remplace la notion de «minorité ethnique», pour laquelle il existe une jurisprudence basée sur les Chartes québécoises et canadiennes des droits et libertés, par celle de «communauté culturelle». Cette notion «n'est définie dans aucune loi et n'est associée à aucun droit. À notre connaissance, cette expression n'a ni de portée, ni de connotation juridique», écrit le Barreau dans son mémoire. D'autres groupes minoritaires, comme des «communautés culturelles religieuses», pourraient essayer de se prévaloir de droits linguistiques. «Lorsqu'on crée de nouveaux droits et qu'on s'éloigne de la jurisprudence stable, on crée toutes sortes de possibilités aux conséquences incertaines», dit Me Masson.

Le projet de loi stipule que le français deviendra «la langue normale et habituelle dans laquelle le gouvernement, ses ministères et les autres organismes de l'Administration s'expriment et celle utilisée pour s'adresser à eux». Selon le Barreau, ces mesures «risquent d'affecter démesurément les communautés anglophone et allophone», et pourraient être contestées devant les tribunaux en vertu des chartes.

La minorité anglophone pourrait ne plus bénéficier des droits garantis par les chartes à cause de cette modification, a expliqué Me Pierre Bosset, professeur de droit à l'UQAM qui a collaboré au mémoire.

Selon le gouvernement péquiste, la protection du français passe par la langue du travail. C'est aussi le constat du Conseil supérieur de la langue française. Le projet de loi 14 vise donc entre autres à assujettir les PME de 25 à 49 employés à la Charte de la langue française.

«Ces entreprises comptent souvent une forte concentration d'allophones et nous craignons qu'elles ne soient pas en mesure de respecter le sens et la portée des nouveaux articles prévus par le projet de loi 14 les concernant. À cela, s'ajoutent les coûts liés à l'application et au respect de cet élargissement de la Charte à ces entreprises et nous doutons de la capacité de ces dernières à faire respecter leurs droits», soutient le Barreau dans son mémoire.

Depuis son adoption en 1977, la Loi 101 a été très souvent attaquée devant les tribunaux et réécrite à cause de contestations basées sur les chartes des droits et libertés. Jeudi, l'avocat Julius Grey a raconté qu'il reprenait maintenant un vieux slogan nationaliste: «ne touchez pas à la loi 101». La raison: ce n'est pas qu'il dénonce les contestations, mais il croit qu'elles sont inévitables, et croit aussi qu'il y aurait présentement un «équilibre».

À la fin du témoignage du Barreau, la ministre responsable de la Charte de la langue française, Diane De Courcy, a noté qu'il peut y avoir des «différences d'interprétation». «Il y a une part de risques dans n'importe quoi. Mais le risque avait été calculé. Un autre calcul de risque est fait par le Barreau, on va le vérifier», assure la ministre.

Elle note que le terme communauté culturelle «fatigue et inquiète» plusieurs groupes qui ont témoigné devant elle. «Bien sûr qu'on va réfléchir après (la fin de la commission parlementaire) à tout ce qu'on a entendu», a-t-elle ajouté.

À son cabinet, on explique que cette modification vise à reprendre la terminologie de la Loi sur l'immigration. «Jamais il n'a été question de limiter les services donnés à la minorité linguistique. Ce n'est absolument pas l'intention du législateur», assure la ministre.

Il est toutefois loin d'être certain que le projet de loi 14 sera adopté par le gouvernement péquiste minoritaire. Les libéraux s'y opposent, et les caquistes ont posé trois conditions non négociables.