Les sondages la donnent gagnante contre le maire Rob Ford, ses conseillers la poussent à se présenter, des élus municipaux l'accusent déjà de faire campagne... La candidature d'Olivia Chow, veuve de Jack Layton, à la mairie de Toronto est l'une des plus attendues dans la métropole ontarienne.

«Serez-vous dans la course?» Un marathonien a posé la question à Olivia Chow l'air un peu amusé. La députée néo-démocrate s'apprêtait à courir un parcours de 5 kilomètres au centre-ville de Toronto.

La silhouette mince, les traits jeunes... la femme de 56 ans a l'air d'en avoir... 42. «Cinq kilomètres, ce n'est rien», confie-t-elle.

Mais l'autre course dans laquelle la veuve de Jack Layton pourrait bientôt se lancer - celle pour la mairie de Toronto - s'annonce plus difficile et plus risquée. La campagne électorale ne commence officiellement que début 2014, mais déjà les rumeurs de candidatures vont bon train.

Le maire Rob Ford, lui, n'a même pas voulu faire durer le suspense: il a confirmé qu'il solliciterait un autre mandat et qu'il serait même le premier à inscrire son nom sur les bulletins de vote.

Pour l'instant, Olivia Chow s'est montrée nébuleuse sur ses intentions. Lorsque les gens dans la rue - et ils sont très nombreux - viennent la voir pour lui demander de se présenter, elle se contente de leur dire - un peu comme Denis Coderre il y a quelques mois - «qu'elle y songe».

Sur le terrain, par contre, les signes d'une future candidature de l'actuelle députée fédérale néo-démocrate de Trinity-Spadina se multiplient. John Laschinger, organisateur de campagne très connu à Toronto, avoue avoir eu des discussions avec l'équipe d'Olivia Chow sur la course à la mairie de 2014. «Ce n'est jamais approprié pour un directeur de campagne d'annoncer quoi que ce soit avant la candidate», explique-t-il. Il s'attend toutefois à être impliqué dans une campagne municipale en 2014 et ajoute qu'Olivia Chow serait une «excellente candidate».

Des élus municipaux commencent également à s'impatienter. Lors d'une entrevue à un quotidien torontois en juin, le conseiller de droite Denzil Minnan-Wong a accusé Olivia Chow de se servir de son rôle de critique du NPD en matière de transport pour faire campagne en douce. Ce n'est pas une coïncidence, selon lui, qu'au même moment où il y a des rumeurs de candidature, Olivia Chow se met à organiser des forums téléphoniques sur la congestion routière à Toronto. Le bureau de la députée a répondu que d'autres forums du genre étaient organisés ailleurs au pays.

Retour aux sources?

La mairie de Toronto serait un peu comme un retour aux sources pour Olivia Chow. Pendant 14 ans, la femme originaire de Hong Kong a siégé au conseil municipal, suivant ainsi les traces de son mari Jack Layton qui avait été élu conseiller en 1982. Aide aux enfants pauvres, développement du transport en commun, accès au logement social... Olivia Chow s'est vite forgé une réputation de travailleuse acharnée, qui règle des dossiers.

«Jack, c'était l'orateur, l'homme qui formulait les idées», explique Bob Gallagher, qui fut tour à tour assistant d'Olivia Chow à l'hôtel de ville et chef de cabinet au NPD. «Olivia, c'était celle qui les concrétisait en créant des coalitions.»

Il croit d'ailleurs que c'est le «côté terre à terre» de la politicienne qui avait mené à l'époque le maire Mel Lastman, pourtant d'allégeance conservatrice, à lui donner un siège au comité du budget - un groupe d'habitude réservé aux alliés politiques.

En 2006, Olivia Chow fait le saut au fédéral pour avoir, entre autres, plus de contrôle sur le financement des dossiers qui lui tiennent à coeur. Mais la marge de manoeuvre est mince quand on siège dans l'opposition. Son projet, par exemple, de stratégie nationale de transport en commun - qui garantirait aux municipalités un financement fédéral à long terme pour leurs réseaux d'autobus, de métros ou de trains de banlieue, et qui avait d'ailleurs reçu l'appui de plusieurs maires du pays - a été bloqué par les conservateurs en septembre dernier.

Les amis d'Olivia Chow, ses conseillers politiques, croient qu'elle pourrait être plus efficace à l'hôtel de ville de Toronto et font pression sur elle pour qu'elle se lance: «C'est sûr que c'est un choix déchirant parce qu'elle pourrait obtenir un poste de ministre en 2015, si le NPD accédait au pouvoir», affirme Bob Gallagher. Il pense tout de même que la place d'Olivia Chow est à la mairie de Toronto.

Chow c. Ford

Olivia Chow serait-elle capable de défaire le clan Ford à l'hôtel de ville de Toronto en 2014? Aucun doute, la députée néo-démocrate a plusieurs éléments qui jouent en sa faveur. Son parcours d'immigrante - elle a quitté Hong Kong à 13 ans - et cette expérience pourrait la rapprocher de nombreux électeurs dans une ville multiculturelle comme Toronto.

La classe, également, avec laquelle elle a honoré la mémoire de son mari. Sans que ce soit nécessairement intentionnel, Olivia Chow s'est forgée depuis près de deux ans l'image d'une femme digne et sensible en même temps. Et puis, son côté de politicienne pas coincée, proche du public, qui n'hésite pas, contrairement aux élus qu'elle décrit comme "ennuyants", à se promener le ventre à l'air avec un costume à paillettes lors du festival caribéen.

Le conseiller centriste Josh Matlow croit tout de même qu'Olivia Chow pourrait avoir du mal à projeter l'image d'une conciliatrice. Les trois dernières années ont été marquées à l'hôtel de ville par des guerres ouvertes et des scandales - la plus récente controverse portant sur les habitudes de consommation d'alcool de Rob Ford, à la suite de la publication en ligne, il y a quelques jours, de vidéos où il semble être en état d'ébriété. Selon le conseiller Josh Matlow, la demande est forte à l'heure actuelle pour un maire qui saura rallier les élus. Il n'est pas convaincu qu'Olivia Chow parvienne à se présenter comme la femme de la situation: «Son nom est fortement associé au NPD et elle va devoir prouver aux électeurs qu'elle ne va pas se lancer dans une autre guerre idéologique, mais cette fois-ci contre la droite.»

Ian Capstick, président de MediaStyle et ancien attaché de presse de Jack Layton, pense que c'est plutôt l'accent d'Olivia Chow en anglais qui pourrait la pénaliser. «C'est sa deuxième langue, admet-il, et en politique, le plus important, c'est de faire passer son message. Elle doit s'assurer qu'elle est tout le temps bien comprise.» Il croit malgré tout que certains électeurs racistes pourraient hésiter à voter pour elle.

Et en attendant qu'Olivia Chow précise officiellement ses intentions, la politicienne de 56 ans passe l'été à écrire ses mémoires - un livre qui devrait sortir début 2014... juste à temps pour une (éventuelle) campagne électorale.

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Des sondages encourageants

Depuis qu'elle a manifesté son intérêt pour la mairie de Toronto, Olivia Chow est présentée dans les sondages comme la candidate à vaincre en 2014. Fin juillet, la firme Forum Research donnait 15 points d'avance à la néo-démocrate dans une lutte à deux contre Rob Ford. Olivia Chow remporterait également la plupart des luttes à trois ou à quatre, selon un sondage publié plus tôt cet été. Source: Forum Research Inc.

Une lutte serrée dans les banlieues?

Si elle brigue la mairie en 2014, Olivia Chow devra concentrer ses efforts dans la banlieue de Toronto. C'est là où le maire actuel Rob Ford compte le plus d'appuis. Dans une lutte à deux, la députée néo-démocrate a présentement un avantage - parfois très mince - dans les quatre régions de la ville, révèle un sondage réalisé fin juillet par Forum Research. Mais lorsqu'on demande aux électeurs d'évaluer la performance de Rob Ford, celui-ci bénéficie encore d'un taux d'approbation de 52% dans Etobicoke, le quartier d'où il vient, et de 60% dans Scarborough, là où il a organisé son grand barbecue public au début de l'été. Ce taux chute à 28% dans les quartiers centraux.

Un parcours tumultueux

1970 > Olivia Chow émigre de Hong Kong au Canada à l'âge de 13 ans avec ses parents. Son père, enseignant dans son pays d'origine, peine à trouver un emploi à Toronto et maltraite physiquement sa femme. Chow a éventuellement déménagé seule avec sa mère, avec qui elle habite encore.

1979 > Obtention d'un baccalauréat en beaux-arts de l'Université Guelph, en Ontario.

1988 > Mariage avec Jack Layton dans les îles de Toronto. Le couple s'était rencontré trois ans plus tôt. Jack Layton a déjà deux enfants d'un premier mariage.

1991 > Chow est élue conseillère municipale. Lors de la même élection, Jack Layton se présente à la mairie, mais termine deuxième.

2006 > Après deux tentatives infructueuses, Chow est finalement élue députée de Trinity-Spadina, une circonscription du centre de Toronto qui comprend une forte population chinoise.

2007 > Première percée du NPD au Québec: Olivia Chow fait campagne auprès de Thomas Mulcair dans Outremont. Elle passe plus d'un mois dans la circonscription, notamment pour courtiser les communautés immigrantes.

2011 > En mai, raz-de-marée néo-démocrate au Québec. Jack Layton devient chef de l'opposition officielle. Pour la première fois, la femme d'un chef de l'opposition siège également comme députée à Ottawa. Chow est nommée critique pour les Transports.

2011 > Mort de Jack Layton au mois d'août.

2013 > Chow annonce en janvier qu'elle est atteinte de zona au visage et qu'elle ne pourra pas sourire normalement pendant plusieurs semaines. En mars, elle affirme lors de l'émission de George Stroumboulopoulos à la CBC qu'elle songe à devenir candidate à la mairie de Toronto. En août 2012, elle avait pourtant dit qu'elle ne serait pas dans la course.