Sans tambour ni trompette, le gouvernement du Québec a imposé par décret, cet été, une nouvelle délimitation des zones inondables à Laval. Du coup, les propriétaires d'au moins 700 résidences voient la valeur de leur maison chuter et leur capacité à assurer leur bien, réduite.

«Ça peut jouer sur la valeur foncière de la propriété. Ça peut amener aussi, sur le plan de l'assurabilité, des questionnements de la part des compagnies d'assurance [...] qui sont plus chatouilleuses», a affirmé à La Presse Normand Boulianne, chef de service de l'aménagement du territoire et des eaux souterraines au ministère de l'Environnement.

C'est l'équipe de M. Boulianne qui est responsable de la détermination des zones inondables au Québec. C'est lui et ses collègues qui ont recommandé au ministre de l'Environnement, Yves-François Blanchet, d'agir par décret après huit ans de discussions infructueuses avec la Ville de Laval. «Nos experts nous ont dit: ça suffit», a expliqué M. Boulianne, en précisant que le contexte politique n'est qu'un «concours de circonstances».

Trois semaines après la mise en tutelle de Laval, le Conseil des ministres a décidé de forcer la municipalité à respecter les cotes de crues. En tranchant ainsi, le gouvernement a voulu mettre fin à la résistance, depuis 2005, de l'ancien maire Gilles Vaillancourt (pourtant parti depuis novembre 2012), qui, malgré les normes nationales, permettait la construction en zones inondables.

Mais en voulant empêcher les promoteurs immobiliers d'élever des tours de condos dont les fondations trempent dans le lit de la rivière des Mille Îles ou dans celui de la rivière des Prairies - et ce, avec la bénédiction de l'administration de Laval -, le gouvernement touche d'abord et avant tout des centaines de propriétaires de bungalows situés dans les vieux quartiers lavallois, reconnaît-on au ministère de l'Environnement.

Quelque 700 résidences (maisons unifamiliales, duplex ou habitations multiples) sont ciblées, explique-t-on à la Ville de Laval. Ces propriétaires s'ajoutent à ceux qui étaient déjà en zones inondables, selon les mesures établies en 1995.

Toutes ces nouvelles maisons, qui constituent pour bien des propriétaires les économies de toute une vie, représenteraient une valeur foncière totale de plus de 200 millions. On obtient ce nombre en considérant la valeur d'une résidence, à Laval, à environ 300 000$, chiffre que l'on multiplie par le nombre de bâtiments visés.

La somme de 200 millions est toutefois approximative, puisque pour l'instant, la Ville de Laval n'a pas officiellement évalué la baisse de la valeur foncière (20%, 50% ou même davantage, soulèvent des sources proches du dossier) pour chacun des contribuables. «Toutes les énergies sont mises actuellement à défendre les intérêts des citoyens qui sont visés à cause des calculs inexacts du gouvernement», a indiqué hier Nadine Lussier, responsable des communications à Laval.

Guerre politique

La mairesse Martine Beaugrand a décliné l'invitation de La Presse de commenter ce dossier délicat. M. Beaugrand doit rencontrer la ministre responsable de la région de Laval, Nicole Léger, sur cette question dès jeudi.

À l'hôtel de ville, hors des bureaux du tuteur Florent Gagné et de son équipe, l'imposition des cotes de crues soulève beaucoup de colère. En coulisse, on insiste pour dire que le gouvernement Marois a profité de la tutelle pour faire avaler son décret. Le geste irrite les gens d'autant plus que personne n'a été avisé par Québec.

Le décret a été adopté le 25 juin, puis publié dans la Gazette officielle le 10 juillet, alors que tout le Québec avait les yeux tournés vers la tragédie de Lac-Mégantic. Le règlement modifiant le schéma d'aménagement et de développement de Laval est entré en vigueur le 28 juin.

Il est difficile de dire avec exactitude qui est concerné par les nouvelles délimitations des zones inondables. À la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), de qui relève l'aménagement du territoire et qui a entre les mains les cartes officielles établies à partir des cotes de crues de 2005, on souligne que l'information n'est pas publique. En fait, les cartes n'ont pas été déposées au comité exécutif de la CMM, où on marche sur des oeufs dans ce dossier, selon les informations recueillies de différentes sources.

La Presse a toutefois quelques cartes établies par des experts à partir des cotes de crues publiées par le gouvernement. On y voit notamment que certains secteurs sont particulièrement touchés, comme Fabreville, Laval-Ouest, Auteuil et Laval-des-Rapides.

Zone 0-20 ans

Le décret implique donc que du jour au lendemain, les 700 résidences concernées risquent d'être inondées dans une période allant de 0 à 20 ans. En ce qui concerne les terrains vacants dans cette zone, il est désormais impossible d'y construire quoi que ce soit.

Les calculs faits par le Centre d'expertise hydrique du Québec pour le ministère de l'Environnement sont une prévision théorique d'une inondation. Selon le Ministère, la dernière inondation majeure à Laval, du côté de la rivière des Mille Îles, remonte à 1976.

Laval a maintenant six mois pour se conformer au décret, c'est-à-dire jusqu'au 28 décembre. Le tuteur a déjà prévu soumettre au conseil municipal pour approbation les changements aux règlements d'urbanisme. La prochaine assemblée se tiendra le jeudi 3 octobre.

Zone inondable en 1995

Zone inondable en 2005