L'ambassadeur qui exhibe son passeport diplomatique pour franchir, en vertu de son immunité, les contrôles aéroportuaires sans que sa valise soit fouillée est-il un vrai diplomate, ou un terroriste muni de tout l'attirail nécessaire pour faire exploser son avion en vol?

Ce scénario hypothétique semble tracasser les responsables de la sûreté aérienne.

Un bulletin interne Menaces et tendances de l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA), obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur accès à l'information, traite de la «possibilité que des terroristes utilisent des faux documents d'identité, passeports et valises diplomatiques pour embarquer clandestinement des explosifs à bord des avions».

L'article 27 de la Convention de Vienne interdit en effet strictement la fouille ou le contrôle des valises diplomatiques.

Sur le site internet du ministère des Affaires étrangères du Canada, il est d'ailleurs écrit que le «Canada considère l'inspection aux rayons X et toute autre forme d'examen électronique des valises diplomatiques comme équivalant à leur ouverture» et comme «une violation inadmissible» !

«Les diplomates doivent se soumettre aux mêmes contrôles que les passagers à moins d'une exemption émise par le gouvernement, mais leurs valises ne sont pas fouillées à la condition de présenter la documentation légitime à nos agents», précise Mathieu Larocque, responsable des communications à l'ACSTA.

Un juste équilibre

Les auteurs des documents consultés mentionnent que cette tactique qui permet de «contourner les contrôles de sécurité» est déjà employée par les narcotrafiquants. «Les organisations terroristes cherchent en permanence à développer des méthodes nouvelles et innovantes pour mener leurs attaques», lit-on par ailleurs.

«C'est vrai que l'objectif des terroristes est de déjouer les mesures de sécurité, et le nôtre est qu'ils n'y parviennent pas», résume Mathieu Larocque.

Pour l'ex-numéro 2 du SCRS, aujourd'hui à la tête de la société-conseil ISECIS, Ray Boisvert, «le défi dans le monde aérien est de gérer le risque, de trouver un équilibre entre la nécessaire facilité de déplacement des individus et les impératifs sécuritaires sans tomber dans la paranoïa».

Les documents de renseignement et d'analyse obtenus auprès de l'ACSTA notent néanmoins un «regain» des «complots et attaques visant l'aviation» depuis 2009.

Au banc des accusés, Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), basée au Yémen, à qui l'on attribue quatre de ces évènements entre 2009 et 2012 inclusivement. Deux se sont concrétisés, sans faire de victimes toutefois.

Leur artificier présumé, le Saoudien Ibrahim Hassan al-Asiri, semble n'être jamais à court d'idées. Déjà «inventeur» du slip et des cartouches d'imprimantes piégées à la penthrite, ainsi que des liquides explosifs dissimulés dans des bouteilles de boisson, il aurait mis au point un explosif liquide dont on imbiberait les vêtements du futur kamikaze et qui serait indétectable lors des contrôles aéroportuaires.

C'est du moins ce qu'ont affirmé récemment des officiels américains en marge de l'alerte aux attentats qui vient d'entraîner la fermeture d'ambassades occidentales de l'Afrique au Moyen-Orient.

Avantage aux terroristes

«L'avion demeure en effet une cible de choix pour les groupes terroristes», reconnaît Mathieu Larocque. Un des documents d'analyse de l'ACSTA anticipe d'ailleurs plusieurs autres attaques à «petite échelle et non grandioses» au cours des cinq prochaines années.

Sauf qu'à ce jeu du chat et de la souris, ce sont toujours les terroristes qui ont forcé la mise en place de nouvelles mesures après leurs attaques réussies ou déjouées, et non les autorités, a priori. On doit enlever ses chaussures à cause de Richard Reid, le shoe bomber, passer dans des scanneurs qui vous déshabillent pour détecter des bombes cachées sous les vêtements. Et on ne peut plus embarquer des bouteilles de plus de 100 ml de liquide ou de gel en réaction à un complot déjoué en 2006 visant sept avions à destination notamment de Montréal et de Toronto. Etc.

«Effectivement, les prédateurs ont toujours l'avantage, tandis que nous, nous sommes sur la défensive, note Ray Boisvert. Il faut investir plus dans le renseignement pour agir en amont plutôt que d'être condamnés seulement à réagir. [...] Le combat n'est pas terminé contre Al-Qaïda malgré la mort de Oussama ben Laden. Seul un chapitre a été refermé.»

- Avec William Leclerc