Satisfaits du retour au travail forcé des grévistes de la construction entamé mardi matin, les employeurs veulent reprendre les négociations «sur une nouvelle base», en août.

C'est ce qu'a déclaré Jean Pouliot, le président de l'Association de la construction du Québec (ACQ), le regroupement patronal du secteur industriel, commercial et institutionnel, touché par un conflit de travail de deux semaines qui a connu son terme mardi. Il estime que les négociateurs ont besoin de repos et les discussions pourront alors reprendre avec des compromis de part et d'autre.

Les syndicats ont fait savoir qu'ils sont bien prêts à «laisser retomber la poussière», mais qu'ils resteront tout aussi fermes sur leurs revendications, selon ce qu'a déclaré leur porte-parole, Yves Ouellet.

La mobilité interrégionale de la main-d'oeuvre, la durée des journées de travail, le travail le samedi et la question des heures supplémentaires sont au coeur des litiges entre les syndiqués et les employeurs.

En vertu de la loi spéciale adoptée à l'issue d'une séance parlementaire intensive qui s'est terminée dans la nuit de dimanche à lundi, les 77 000 travailleurs du secteur industriel, commercial et institutionnel ont dû en effet reprendre les activités sur les grands chantiers du Québec tôt mardi.

Le projet de loi spéciale du gouvernement Marois prévoyait à l'origine des hausses de plus de huit pour cent sur quatre ans et reconduisait pour le reste les conditions de travail existantes, les clauses normatives, etc. Ces augmentations étaient calquées sur celles obtenues dans les ententes de principe du secteur de la voirie, qui avait déjà repris le travail. Mais l'opposition n'était pas d'accord et le front commun du Parti libéral et de la Coalition avenir Québec (CAQ) a forcé les péquistes minoritaires à plier, dimanche en fin de soirée: la loi spéciale ne s'applique que pour un an et indexe de deux pour cent les salaires.

«Une loi spéciale n'est jamais bonne pour aucune des deux parties», a déclaré M. Pouliot dans une entrevue téléphonique, mardi, tout en se réjouissant de la reprise des travaux.

«Ceux qui sont satisfaits, ceux qui doivent être contents, ce sont nos clients, nos donneurs d'ordre, ceux qui étaient touchés par les arrêts de travail, nos fournisseurs de matériaux, de béton, etc. Nos clients vont voir leurs projets continuer.»

M. Pouliot a fait valoir que le pouvoir d'achat des employés était préservé, grâce à l'augmentation de salaires de deux pour cent. Il a souligné qu'ils n'auront pas de préjudice à subir, mis à part les pertes subies lors des deux semaines de grève.

Maintenant, d'ici l'échéance de la loi spéciale, les parties ont une année devant elles pour s'entendre et M. Pouliot est optimiste. «On a du temps pour s'entendre. En ayant une négociation raisonnée, on va arriver à une entente, c'est certain.»

Selon lui, les négociations devront reprendre dès après les vacances de l'industrie, qui se terminent le 4 août. Le ton doit changer et chacune des parties doit mettre de l'eau dans son vin, a-t-il laissé entendre.

«Je pense que tout le monde a besoin d'une période de repos. Je vais m'assurer, avec mes gens, et avec les gens de l'Alliance (syndicale, le regroupement des syndicats), de repartir sur une nouvelle base. Il va y avoir une modulation à effectuer de chaque côté.»

De son côté, le porte-parole de l'Alliance syndicale, Yves Ouellet, se dit bien prêt à passer l'éponge sur les derniers mois, mais il assure que son mouvement ne faiblira pas et que les travailleurs sont toujours aussi mobilisés et déterminés.

«On va laisser la poussière retomber, les choses se calmer», a-t-il dit dans un entretien téléphonique, tout en précisant: «On va aller se rassoir à table avec la même volonté qu'on avait.»

Ainsi, ce qui était inacceptable pour ses troupes il y a trois mois ne le sera pas moins à l'automne, a-t-il fait comprendre, notamment les demandes patronales en matière de mobilité de la main d'oeuvre. Selon lui, les employeurs se sont livrés à une vaste entreprise de désinformation sur leurs exigences, avec la complicité des partis d'opposition. Les 175 000 travailleurs de la construction s'en souviendront aux prochaines élections, qui pourraient bien avoir lieu au printemps 2014.

«Normalement, on a une mémoire assez longue concernant ces choses-là. Ce sera l'effet boomerang, ça revient tout le temps, le boomerang.»

Par ailleurs, il a indiqué que le retour au travail dans tout le Québec s'était effectué dans le calme, à défaut de se faire avec le sourire, mais aucun incident n'avait été rapporté.

Ainsi, les travaux avaient déjà repris leur vitesse de croisière mardi sur un des plus gros chantiers du Québec, celui du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM), en plein centre-ville. Les 350 employés étaient donc à pied d'oeuvre. Le porte-parole du consortium responsable du projet se disait même «soulagé».

«C'est une période importante, l'été, mais aussi, juste avant les vacances de la construction», a déclaré le directeur des communications du consortium Construction Santé Montréal, Stéphane Mailhot.

«Les travaux vont plus vite»

Selon lui, il est clair que la grève aura une incidence sur l'échéancier et le budget du chantier de deux milliards de dollars, mais il est encore trop tôt pour l'évaluer.

«C'est sûr qu'il y aura des impacts. Lesquels? On ne peut évaluer les impacts directs et indirects sur deux semaines. On peut s'attendre à des impacts, il est impossible qu'il n'y en ait pas. C'est très complexe. (...) On va en parler au client qui va demander des mesures d'atténuation. On va essayer de rattraper le plus possible le temps perdu d'ici à la livraison, prévue en avril 2016.»

Un autre grand chantier, celui du barrage hydro-électrique de la Romaine, sur la Côte-Nord, devrait aussi rouler à plein régime cette semaine. Hydro-Québec, un des principaux donneurs d'ouvrage au Québec, fait toutefois partie d'un autre secteur de l'industrie, génie et voirie, un secteur qui a mis fin à la grève dès le 25 juin, grâce à une entente de principe.

«La remobilisation du chantier se fait, et en principe, cette semaine, on devrait être en pleine activité», a dit Marie-Hélène Deveault, l'attachée de presse pour la société d'État. Les 1800 travailleurs, dont une grande partie avait été rapatriée pendant le conflit de travail, regagnent donc les lieux.

Quant aux conséquences sur l'échéancier, «tout ça est en train d'être évalué», a-t-elle dit. Elle ne disposait pas non plus d'informations sur les pertes encourues pendant l'interruption du chantier.