Le mouvement Idle No More a repris du service au cours des derniers jours, en promettant un «été de la souveraineté». Mardi, des manifestants d'un bout à l'autre du pays appuyaient l'action directe de leurs collègues, qui se sont enchaînés aux installations d'Enbridge en Ontario. De son côté, Caleb Behn, jeune autochtone de la Colombie-Britannique qui sera bientôt avocat, s'en tient non sans mal à la voie juridique, celle qu'il a choisie pour défendre son peuple. La Presse l'a rencontré récemment lors de son passage à Montréal.

Q Que pensez-vous de l'action directe des manifestants contre les projets énergétiques, comme les pipelines?

R De façon très délibérée, je ne me mêle pas à ces actions. J'ai choisi le droit parce que je voyais que les autres moyens ne fonctionnaient pas. S'il y a des actions directes, le Service canadien du renseignement de sécurité et la Gendarmerie royale du Canada débarquent. Et tout le monde se souvient de tout le mal qui est sorti d'Oka. Alors j'ai choisi le droit. C'est une façon d'avoir du pouvoir tout en étant soumis à la loi. Mais c'est difficile, parce que je renâcle à reconnaître la souveraineté de la Couronne.

Q Comment en êtes-vous venu à étudier le droit?

R Nous faisons face à une ruée sans précédent sur nos terres. J'affrontais des gens avec des doctorats et des bureaucrates. Je ne faisais pas le poids avec mon bac en sciences politiques.

Q De quelle ruée parlez-vous?

R Je suis rentré chez moi deux semaines en 2007 pour servir de guide à une équipe de documentaristes. C'était le début du boom du gaz de schiste dans le nord-ouest de la province. Les terres de la famille de ma mère et celles de la famille de mon père sont les deux plus exploitées pour le gaz, près de Fort St-John et Fort Nelson. Ça c'est passé si vite, de 2007 à 2009, que notre peuple n'a pas eu le temps de réagir. Ils recevaient des avis de 10 jours sur la vente des droits miniers sous leurs pieds. Personne ne nous demandait notre avis. C'était difficile de voir les coffres de la province se remplir, alors que nos conditions de vie restaient les mêmes, avec les maisons pleines de moisissures et les problèmes de santé, les problèmes sociaux.

Q Quel impact avez-vous pu avoir sur cette ruée?

R Nous avons réussi à forcer le gouvernement provincial à étudier les impacts de l'industrie. À ce moment, le débat qui s'était soulevé au Québec leur mettait de la pression. Dans ma communauté, nous avons été très impressionnés par le moratoire au Québec sur la fracturation hydraulique. Nous ne sommes pas là pour dire que c'est bon ou mauvais, mais plutôt pour montrer la complexité des impacts de voir une industrie se déployer à travers une société agraire ou une nation autochtone.

Q Comment expliquez-vous l'opposition grandissante des communautés autochtones aux projets pétroliers et gaziers?

R Il y a vraiment des tensions profondes en Colombie-Britannique à cause de toutes les promesses qui n'ont pas été respectées et de tout l'argent qui se fait sur notre territoire et qui se retrouve à Calgary ou à Victoria. Le mouvement Idle No More est une réaction au projet de loi omnibus adopté l'an dernier à Ottawa. On voit que l'industrie a pris le contrôle du gouvernement. Cela alimente le feu de notre résistance comme nous ne l'avions pas vu auparavant, mais en même temps, l'ampleur du développement est sans précédent. Tout est extrême.

Q Quel est le lien entre les projets de pipelines de pétrole bitumineux et l'exploitation gazière sur votre territoire?

R Ils viennent fracturer chez nous pour le gaz et les condensats qui servent ensuite à faire fondre le bitume et le diluer pour pouvoir le transporter jusque chez vous. Vous ne pouvez pas extraire le bitume sans le gaz et vous ne pouvez l'expédier sans les condensats. Tout comme les pipelines, ces enjeux relient la Colombie-Britannique, l'Alberta, le Québec et aussi les États-Unis. Ça nous rassemble.

Q Le gouvernement du Québec s'est montré ouvert à la venue du pétrole de l'Ouest. Qu'en pensez-vous?

R C'est décevant. Pourquoi retirer des bénéfices d'un produit qui requiert un procédé que vous n'autorisez pas sur votre propre territoire? C'est une abdication.