Depuis la tragédie de Lac-Mégantic, la Ville de Montréal se fait beaucoup plus prudente dans l'aménagement de son territoire, a expliqué Denis Coderre, hier, en réaction au reportage sur la récente interdiction de toute construction près des installations de Suncor. En revanche, au gouvernement du Québec, on ne s'émeut guère de la situation.

Hier, La Presse faisait état d'un moratoire interdisant toute construction dans un rayon de 435 mètres des trois ballons de butane de Suncor. Même une enseigne de quatre pieds sur six ne peut y être installée.

Le Centre de sécurité civile juge cette zone rouge à «risque très élevé» dans l'éventualité d'un accident impliquant les sphères de butane. Une explosion est jugée peu probable, mais elle provoquerait d'énormes dégâts. Or, cette zone rouge est traversée par l'autoroute Métropolitaine et 100 000 automobilistes y circulent chaque jour.

«Depuis la tragédie de Lac-Mégantic, on ne prend pas de risque. C'est tolérance zéro en matière de sécurité», a déclaré le maire Denis Coderre au terme de la réunion du comité exécutif, hier.

«Quand les analyses de risque vont être complétées par la sécurité civile, on fera les choses en conséquence», a-t-il ajouté.

Denis Coderre n'a toutefois rien dit au sujet de l'autoroute Métropolitaine, qui traverse la zone rouge. Il a aussi été muet sur le sort réservé à la quinzaine d'entreprises coincées dans cette zone.

En mai 2014, le moratoire a été décrété pour une zone de 830 mètres autour des ballons de butane. En octobre 2015, le moratoire a été renouvelé pour la zone rouge de 435 mètres, mais levé ou assoupli au-delà de 435 mètres.

Québec ne s'inquiète pas

Du côté du gouvernement du Québec, on ne s'inquiète pas outre mesure de la situation. D'abord, nos questions simples au ministère des Transports sont restées sans réponse. Le ministre Robert Poëti a-t-il été mis au courant de l'existence de la zone rouge? Le gouvernement prévoit-il un moratoire, comme la Ville, sur les travaux de la Métropolitaine qui traverse la zone rouge à haut risque? Demandera-t-il des mesures correctives («de mitigation») à Suncor?

De son côté, le ministre de la Sécurité publique, Pierre Moreau, s'est montré peu inquiet. Il rappelle que la cohabitation entre la raffinerie et l'autoroute remonte à fort longtemps.

«Des véhicules circulent, ils ne sont pas en situation d'arrêt, a-t-il dit. Est-ce que les raffineries présentent un risque zéro? La réponse, c'est non. [...] Et en 60 ou 70 ans, je dois dire que le dossier est particulièrement bon en matière de sécurité.»

L'expert en risques industriels Jean-Paul Lacoursière juge pourtant que le Québec accuse un retard au chapitre de la sécurité industrielle. «Les autres pays sont plus avancés. Nous, on commence. C'est probablement l'une des premières manifestations de cette préoccupation que vous avez devant les yeux. Mais il devrait y en avoir autour d'autres sites, pas juste là où il y a du pétrole, mais aussi les sites où il y a des produits toxiques», dit-il.

La France, par exemple, a beaucoup resserré ses règles d'urbanisme après l'énorme explosion d'un stock de nitrate d'ammonium de la société AZF à Toulouse, le 21 septembre 2011, qui a fait 31 morts et 2500 blessés.

Le critique de l'opposition en matière d'environnement et de développement durable à la Ville, Sylvain Ouellet, porte un jugement sévère sur Suncor. «Ce n'est pas normal qu'une entreprise externalise ses risques en stérilisant le territoire à l'extérieur de son terrain. Ça vient empêcher le développement économique. À cause de ça, une bonne partie de l'est de Montréal ne pourra pas se développer. C'est majeur», a-t-il dit.

La députée péquiste Nicole Léger, dont le bureau est situé en zone rouge, boulevard Saint-Jean-Baptiste, juge qu'il faut relativiser la situation. «Il n'y a pas d'urgence et on ne peut pas détourner l'autoroute. Mais c'est le bon moment pour Suncor et pour l'arrondissement d'améliorer les mesures [d'atténuation] du risque», a-t-elle expliqué.

- Avec la collaboration de Martin Croteau et Tommy Chouinard