Observateur passionné de tout ce qui touche Montréal, l'éditorialiste de La Presse François Cardinal a invité 80 personnalités d'horizons divers à répondre à une question d'actualité: comment relancer la métropole? Certains proposent des projets grandioses, d'autres, des gestes simples. M. Cardinal y va lui-même de 21 propositions. «À la veille d'un nouvel essor», ces 101 idées proposées par le livre Rêver Montréal sont autant de lueurs d'espoir pour la métropole, estime l'éditorialiste. Nous l'avons rencontré.

Q : Pour Rêver Montréal, vous avez invité des personnalités d'horizons incroyablement diversifiés, des spécialistes de l'urbanisme à des artistes, des gens d'affaires et des journalistes. Cette variété, en êtes-vous fier? Qu'apporte-t-elle dans le débat?

R : Il y a effectivement une très grande variété et c'est tout à fait volontaire, pour montrer que ce ne sont pas que les élus et les candidats à la mairie qui réfléchissent à Montréal. Je trouve qu'on voit là une lueur d'espoir pour Montréal parce que parmi ces 80 personnalités-là, il y en a plusieurs dont on n'a jamais entendu la position sur Montréal, qui osent se mouiller, qui sont prêtes à répondre présent. Tout le monde a réfléchi à sa ville, tout le monde a quelque chose à en dire.

Q : Vous le dites d'entrée de jeu, Montréal en 2013 va plutôt bien. Difficile à croire, vous l'écrivez vous-même. Qu'est-ce qui vous rend si optimiste?

R : Montréal est vraiment la championne de l'autodénigrement. Non seulement ça ne va pas si mal, ça va plutôt bien. On a la mémoire courte. Si on se souvient seulement de ce qu'était Montréal il y a une dizaine d'années, on voit l'immense chemin parcouru.

D'abord, quand on regarde ce qu'on dit de Montréal à l'étranger, ce que les touristes et les palmarès en disent, on a un indice que ça va bien. Au-delà des impressions, quand on regarde les statistiques, on se rend compte que la construction résidentielle est en hausse, les grues sont aussi nombreuses qu'à l'époque des Jeux olympiques. On construit des gratte-ciel, ça fait des années qu'on n'en a pas vu! Le taux de faillites diminue, la pauvreté recule, le revenu des familles augmente plus vite qu'à Toronto.

Q : L'ancien ministre péquiste Joseph Facal vous a déjà posé la question, reposons-la: «Mais si ça va si bien, pourquoi a-t-on l'impression que ça va si mal?»

R : Ça fait 15 ans qu'on a un problème de leadership, on a alors l'impression que la ville ne va nulle part.

Il y a aussi un traumatisme historique dont on peine à se relever. Montréal ne peut pas bien aller, car jamais Montréal ne va aller aussi bien qu'il l'a déjà été. Montréal, il y a une cinquantaine d'années, était la métropole du Canada. On n'arrête pas de citer Jean Drapeau, les Jeux olympiques, l'Expo. Ce que certains voient comme un échec, un long déclin depuis les années 50, est plutôt une rupture. Montréal est devenu la principale ville francophone du continent, une véritable métropole avec ses particularités. Il faut l'aborder ainsi plutôt que comme la métropole canadienne qu'elle n'est plus.

Q : En 101 courts textes, plusieurs solutions sont évoquées. Certaines reviennent fréquemment. Quelles sont les idées centrales pour relancer la métropole?

R : Dans le livre, il y a clairement deux types de solutions. Il y a celles, plus génériques, qui touchent à la fierté, à l'amour-propre de Montréal, à la morosité ambiante. Ces solutions sont intéressantes parce qu'elles sont un Polaroid de Montréal maintenant.

Et il y a un paquet de solutions hyperconcrètes qui, j'espère, vont inspirer des candidats à la mairie. Ça va du plus petit au plus gros: certains prétendent que Montréal a besoin d'un nouveau symbole architectural grandiose. Il y a en a beaucoup qui sont originales dans leur ambition, par exemple le fait de vouloir créer un réseau de promenades métropolitain. Il y en a qui misent plus sur l'échelle humaine de Montréal, qu'il faut redonner par exemple la ville aux enfants.

Si quelques-unes seulement inspirent les élus et les candidats, ça aura fait une grande différence. On sent qu'on est à un moment charnière qui fait en sorte que Montréal est à la veille d'un nouvel essor.

Si ce livre pouvait lui donner une petite poussée dans le dos supplémentaire, il aura fait son travail.

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Cinq idées parmi d'autres pour relancer la Ville:

1. Trouver un ambassadeur

Inviter une personnalité respectée mondialement à séjourner quelques mois à Montréal, lui montrer nos grands projets et en faire notre ambassadeur autour du monde. C'est l'idée un peu folle du président de Molson Coors, Andrew T. Molson, qui estime que cet ambassadeur pourrait en outre «nous révéler certains défauts». Dans le même esprit, mais à la blague, l'auteur Daniel Thibault propose de nommer Yvon Deschamps ambassadeur de Montréal... à Québec. Pour «expliquer que l'argent public dépensé à Montréal n'est pas toujours à mettre dans la colonne des pertes des Québécois».

2. «C'est long quand c'est laid!»

Avec toute la rigueur et l'humour qui le caractérisent, Jean-René Dufort y va d'un coup de gueule bien senti: «L'architecture de Montréal est soporifique, dénuée de toute touche de folie.» Il réclame une «injection intraveineuse d'audace», rappelle les rendez-vous ratés - selon lui - de la Maison symphonique de Montréal, de la place des Festivals avec son «patio des spectacles», de la Grande Bibliothèque qui a l'air d'«une grosse thermopompe». L'ancien président de l'Ordre des architectes du Québec, André Bourassa, désigne un coupable: «La culture du plus bas soumissionnaire, qui ne mène nulle part.»

3. Des promenades métropolitaines

Un fleuve géant, une montagne emblématique, un archipel: Montréal dispose d'une géographie "exceptionnelle" qu'elle ne met pas en valeur, note le directeur des politiques à Héritage Montréal, Dinu Bumbaru. Sa proposition: faire comme Paris, Séoul et New York et aménager de «fabuleuses promenades», ou imiter Helsinki et Québec et offrir des services permanents de traversiers. Pour «apprécier à sa juste valeur le site exceptionnel de Montréal». Dans le registre des circuits à construire, Lorraine Pintal, directrice du Théâtre du Nouveau Monde, suggère de créer un parcours d'oeuvres d'art, «pour faciliter l'appropriation du milieu urbain par le citoyen».

4. Anglais ou French?

Impossible de parler de Montréal sans évoquer sa dualité linguistique. L'acteur Pierre Curzi propose de «construire autour du français [...] une ville de Babel». Le musicien Ghislain Poirier se désole des deux solitudes dans le domaine des arts et suggère que les artistes aillent courtiser l'«autre» communauté. Le chroniqueur de The GazetteJosh Freed rappelle à quel point les Montréalais impressionnent leurs visiteurs en passant sans complexe d'une langue à l'autre. «Arrêtons de nous chicaner et retournons à ce que nous faisons le mieux: vivre bien ensemble... together.»

5. Des citoyens impliqués

Les anglophones «se font un devoir de s'engager», de faire partie de la «community plutôt que d'en être de simples bénéficiaires», note François Cardinal. Trop souvent, a contrario, les Montréalais se désintéressent de la chose municipale, votent peu, se comportent «comme des gérants d'estrade»... et critiquent leur ville. Or, «ce n'est pas vrai qu'une municipalité peut tout faire toute seule. Elle doit pouvoir s'appuyer sur la société civile pour réaliser de grandes choses», résume un ancien haut fonctionnaire de Toronto.