Une lettre haineuse écrite par un client et remise par un directeur de succursale de la Société des alcools du Québec (SAQ) à une mendiante vaudra une jolie cagnotte à cette dernière.

Le Tribunal des droits de la personne vient de condamner l'amateur de vins montréalais Robert Delisle à verser 8000$ à Francine Beaumont pour «discrimination fondée sur la condition sociale». La femme de 63 ans, bénéficiaire de l'aide sociale et gravement malade, quête deux fois par semaine devant la SAQ Henri-Bourassa, dans le quartier Ahuntsic.

En 2010, M. Delisle a envoyé un courriel vitriolique au service à la clientèle de la SAQ pour se plaindre de la présence de Mme Beaumont.

«La dernière SAQ en ville où je pouvais m'en sortir sans me faire écoeurer par un robineux qui quête vient de capituler», a-t-il écrit dans son message, dont La Presse a corrigé les fautes. «Elle ressemble à Mme Loulou dans Et Dieu créa Laflaque avec ses 200 livres de BS bien concentrées et enrichies au gras trans. Aucun quotient intellectuel apparent.»

Si la lettre s'ouvre avec des propos insultants, elle se conclut de façon très inquiétante. Dans les dernières lignes de son courriel, Robert Delisle propose des «solutions» pour se débarrasser des «quêteux du bas de la ville [qui viennent] à Ahuntsic».

La Ville pourrait «brûler tout ça au lance-flammes ou napalm», suggère l'homme, qui se décrit comme «un jeune retraité». Ou encore «ramasser tous ces microbes ambulants au camion-benne à vidanges et les brûler à l'incinérateur Des Carrières». «Une balle dans la nuque» pourrait aussi faire l'affaire, selon Robert Delisle.

Ces mots portent «atteinte à la dignité de cette personne» et montrent «le mépris» de Robert Delisle, a estimé le juge Jean-Paul Braun. Le magistrat a aussi tenu compte du fait que Francine Beaumont s'est dite «profondément blessée par ces propos».

«Elle a pleuré et pleure encore. Elle en a fait une dépression et des crises d'angine», a relaté le Tribunal.

Les employés ont craint pour la mendiante

Francine Beaumont n'aurait sûrement jamais su que Robert Delisle avait tenu des propos haineux si le directeur de succursale de la SAQ ne lui avait pas remis une copie du courriel, quelques jours après son envoi.

Robert Delisle a d'ailleurs tenté, en vain, de refiler la facture à la société d'État. Il lui reprochait de ne pas avoir respecté la confidentialité de son courriel.

La SAQ a répliqué que ses employés avaient craint pour la sécurité de Mme Beaumont, en raison d'un «danger imminent de mort ou de blessures graves». Ils auraient tenté de porter plainte à la police. Le Service de police de la Ville de Montréal aurait répondu que la personne visée elle-même devait entreprendre ces démarches.

«Les propos dans le courriel sont inquiétants, a tranché le juge Braun en approuvant le comportement de la SAQ. Il est raisonnable de penser qu'ils pouvaient émaner d'une personne dont l'équilibre émotif était troublé et qu'ils devaient être pris très au sérieux.»

Il n'a pas été possible, hier, de joindre les personnes impliquées dans ce dossier.