Le Québec est la seule province canadienne qui exporte des jeunes filles ailleurs au pays pour qu'elles y soient exploitées sexuellement. Pourquoi ? Parce que les proxénètes québécois vendent leur « marchandise » à un prix défiant toute concurrence.

L'inspecteur Patrice Carrier, de la section des crimes majeurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), est formel. « Oui, nous sommes la seule province à exporter des filles, dit-il. Au SPVM, on ne voit à peu près jamais de dossiers de jeunes filles recrutées ailleurs qui travailleraient ici. »

Pourquoi les Québécoises sont-elles les seules à être ainsi « exportées » dans le reste du Canada ? Parce que les proxénètes québécois vendent les filles à bas prix, répondait il y a deux semaines le sergent-détective Dominic Monchamp dans une entrevue à La Presse. Le prix des « filles » québécoises exploitées par des proxénètes est « ridiculement bas », déclarait le policier.

Les destinations d'envoi prisées des proxénètes québécois vont de l'Ontario à l'Alberta, en passant par la péninsule du Niagara. « Ce sont toutes des régions où on retrouve souvent des dossiers de Québécoises », dit M. Carrier. Au plus fort du boom pétrolier, la ville de Fort McMurray, dans le nord de l'Alberta, a également été « le Klondike des services sexuels ».

« Selon notre expérience, plusieurs filles viennent du Québec et travaillent dans les bars de danseuses de Niagara. Celles qui sont plus jeunes sont habituellement accompagnées par un homme, du Québec ou d'ailleurs », confirme le sergent d'état-major Shawn Clarkson, de la police régionale de Niagara.

La police dit surveiller étroitement les bars pour s'assurer qu'aucune mineure n'est du lot. Même pour les filles majeures, les policiers tentent des approches pour vérifier si elles ont besoin d'aide ou si elles sont sous l'emprise d'un proxénète. 

« Plaque tournante du sexe au Canada »

« Nous avons effectivement beaucoup de filles qui viennent du Québec, et certaines des Maritimes aussi. Nous ne voyons pas beaucoup de victimes qui arrivent de l'ouest du pays, le mouvement est d'est en ouest », dit-il.

« Ça fait partie de la stratégie pour contrôler une fille. La sortir de son environnement, la déplacer, dans des endroits où elle n'a pas de repères. Parfois elle n'a pas de carte de crédit. Il se pourrait qu'elle ne parle même pas l'anglais. Ensuite on la déplace encore plus loin, Toronto, Mississauga, Niagara, Windsor », explique David Correa, détective de la police de Toronto.

Ses collègues trouvent des prostituées mineures ou âgées dans la vingtaine. Très peu de trentenaires. Plusieurs offrent des services sexuels sur internet et rencontrent les clients dans des hôtels et motels le long de l'autoroute 401. Dans la plupart des cas elles sont contrôlées par un proxénète. Il confirme d'ailleurs avoir souvent arrêté des proxénètes québécois.

Pour Patrice Carrier, « Montréal est une plaque tournante du sexe au Canada. Et c'est une palme dont nous ne sommes pas fiers ».

Les fugueuses, des proies de choix

Les fugueuses sont évidemment des proies de choix pour les proxénètes. En 2015, 1800 dossiers de disparitions concernant des filles mineures ont été ouverts au SPVM. Près de 1300 de ces fugues étaient le fait de la clientèle des centres jeunesse. Quelque 200 dossiers de proxénétisme ont été ouverts, et 23 hommes accusés, dont la moitié exploitaient des mineures.

« L'exploitation sexuelle est un crime en forte croissance, parce que c'est extrêmement lucratif », indique l'inspecteur Carrier. Selon l'ONU, l'exploitation sexuelle est passée au deuxième rang dans le palmarès de la criminalité, tout de suite après le trafic de stupéfiants. « À Montréal, les gangs de rue se partagent maintenant le territoire non seulement pour la vente de stupéfiants, mais également pour la vente de services sexuels. »

Un proxénète peut tirer un revenu annuel de près de 300 000 $ de l'exploitation sexuelle d'une seule fille, en fonction de sa jeunesse et de sa beauté, a expliqué le sergent-détective Monchamp lors d'une audience devant un comité du Sénat qui étudiait le projet de loi C-452 sur la traite des personnes. « Faites le calcul : si un proxénète exploite 20 filles, on parle de 6,5 millions récoltés annuellement. »

Une escouade carcajou du sexe ?

Les corps de police de la grande région de Montréal aimeraient former une escouade spécialisée qui se pencherait sur la question de l'exploitation sexuelle et de la traite des personnes. « Au SPVM, nous avons créé une unité spécialisée à la section des crimes majeurs. On a été les premiers à faire ça. Maintenant, ce qu'on voudrait, c'est une équipe mixte, avec d'autres corps policiers, qui couvrirait la grande région de Montréal. On serait beaucoup plus efficaces comme ça », croit l'inspecteur Patrice Carrier. Des escouades interrégionales semblables ont été créées pour d'autres types de crimes et les résultats ont été au rendez-vous, souligne-t-il. On pense notamment à l'escouade Carcajou, composée de policiers de la Gendarmerie royale du Canada, de la Sûreté du Québec et de plusieurs corps de police municipaux, qui avait contré la guerre que se livraient les groupes de motards criminels.