Deux héritières d'une richissime famille montréalaise et membres d'une «secte», un million en honoraires de détectives privés, un ex-policier qui invente des comptes bancaires extraterritoriaux et de mystérieuses menaces financières...

Tous les éléments d'un bon roman d'espionnage se retrouvent dans une poursuite intentée par deux soeurs du clan Bronfman contre Canaprobe, une firme d'enquête de Montréal qu'elles avaient chargée de faire la lumière sur des menaces à leurs intérêts financiers.

Clare et Sara Bronfman lui ont versé l'équivalent de 1,1 million de dollars entre 2008 et 2011, mais se plaignent maintenant de la qualité des rapports de la firme d'enquête.

La Presse a récemment étudié le dossier des procédures, qui se trouve toujours devant la Cour supérieure.

Richard Marier, le propriétaire de Canaprobe, dit être lui-même victime de sous-traitants véreux. Il avait confié une partie du travail d'investigation à un ex-policier ontarien et à sa femme.

Quelques années plus tard, toutefois, le même couple a été jugé coupable d'avoir créé de toutes pièces, à plusieurs reprises, des relevés de compte établissant l'existence de millions cachés à l'étranger. Les informations fournies aux Bronfman seraient aussi entachées d'irrégularités.

Les soeurs Bronfman font bande à part dans le clan familial, devenues milliardaires grâce à l'ex-géant des spiritueux Seagram. Elles sont les cousines de Stephen Bronfman, le membre le plus connu de la famille à Montréal, qui tente d'ailleurs d'y ramener le baseball majeur.

Selon les dernières informations disponibles, toutes deux sont actives au sein de NXIVM - prononcez NEXIUM -, une organisation qualifiée de « secte » par leur père Edgar Bronfman Sr., mort en 2013. Le groupe se présente plutôt comme un organisateur de séminaires de croissance personnelle pour cadres de haut niveau, une activité qui représente « le changement dont a besoin l'humanité pour changer le cours de l'histoire », selon ce qu'on peut lire sur le site internet de l'organisation.

Fin 2010, le magazine Vanity Fair a révélé que Clare et Sara Bronfman avaient injecté «jusqu'à 150 millions US» dans l'organisation et qu'elles étaient mêlées à une guerre juridique contre des dissidents. Il n'a toutefois pas été possible de déterminer si le mandat accordé à Canaprobe a un lien avec ces poursuites.

Information «incorrecte et peu fiable»

En 2008, les deux soeurs sont prises d'«inquiétudes quant à la possibilité que certaines personnes» puissent «causer des dommages significatifs à leurs intérêts», racontent-elles cinq ans plus tard dans le dossier de la poursuite. Elles demandent donc à Canaprobe, établie à Montréal, «d'enquêter sur des individus et d'obtenir des documents financiers».

Impossible de connaître les cibles précises de cette enquête. Partout, dans les documents de cour consultés par La Presse, on prend bien soin d'éviter le fond de l'affaire.

La firme d'enquête Canaprobe confie en sous-traitance une partie de son mandat à Cullen Johnson et Elaine White, un couple de détectives privés ontariens habitué aux enquêtes de nature financière.

Ce que Canaprobe ignorait toutefois à l'époque, c'est que les limiers faisaient preuve d'imagination : ils s'étaient fait une spécialité de forger des relevés bancaires qui attribuaient faussement des millions de dollars aux individus visés par leurs enquêtes. Un Ontarien en processus de divorce s'est ainsi vu attribuer des millions aux Caïmans, au grand dam de son ex-femme, et un participant à un groupe d'achat de billets de loterie s'est fait accuser - «preuve» à l'appui - d'avoir caché le magot à la Barbade et en Suisse.

Au printemps 2011, les deux soeurs Bronfman sont devant la justice américaine dans une cause civile qui implique l'une des personnes sur lesquelles Canaprobe a fait enquête. Elles veulent utiliser un rapport. La firme s'y oppose, faisant valoir qu'il s'agissait de documents à utiliser seulement à des fins d'information.

Deux ans plus tard, les détectives privés montréalais admettront dans une lettre figurant au dossier de cour que l'information obtenue de Johnson et White «s'est révélée incorrecte et peu fiable». «Canaprobe est une victime de White et Johnson, comme plusieurs autres», ajoute le document.

La firme assure avoir informé les Bronfman dès 2009 des problèmes d'exactitude dans les rapports produits par le couple ontarien. Les deux soeurs nient cette affirmation.

La Cour supérieure devra trancher dans les prochains mois.

Les soeurs Bronfman et leur avocate Christine Provencher n'ont pas voulu s'entretenir avec La Presse. «Nous n'avons aucun commentaire sur le dossier en ce moment», a indiqué par courriel Fasken Martineau, leur cabinet d'avocats.

Elles demandent le remboursement du 1,1 million versé, plus 50 000 $ en dommages.

Richard Marier, à la tête de Canaprobe, n'a pas non plus voulu s'étendre sur la question. «L'action à la cour se poursuit et sera défendue avec vigueur», a-t-il simplement affirmé au téléphone.

Photo tirée de Facebook

Clare Bronfman

Photo tirée de Facebook

Sara Bronfman